La sexualité en mode mineur

La répétition d’Eleanor Catton, éditions Denoël (traduit du néo-zélandais par Erika Abrams) et Clèves de Marie Darrieussecq, éditions POL.

Ces deux romans, parus en cette rentrée littéraire, abordent la question de la sexualité des adolescents, ou, plus précisément, des adolescentes. La naissance et la découverte du trouble, les questions (pratiques ou existentielles), le passage à l’acte, les rôles conscient et inconscient joués par les adultes dans cet apprentissage. Si les deux romancières traitent toutes ces dimensions, chacune le fait à sa manière (très factuel chez Darrieussecq, proche d’un journal intime ; plus troublant chez Catton, dans une narration oscillant sans cesse entre la réalité et le fantasme).

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Mieux vaut boire du rouge que broyer du noir – Les recettes de la feignasse

A l’époque où fleurissent à tous vents les manuels de cuisine plus ou moins conditionnés, voici deux petits ouvrages qui sortent des sentiers battus.

Une belle petite surprise au rayon culinaire avec les Editions Libertaires qui publient Mieux vaut boire du rouge que broyer du noir.

Tout un programme ! N’en déplaise aux aficionados du jus de raisin alcoolisé, il ne s’agit pas ici d’un pamphlet sur la diffusion du vin pour oublier la morosité ambiante.

En revanche c’est avec une bonne dose d’humour et surtout de simplicité que Benoist Rey, qui cuisine depuis plus de quarante ans, nous propose dans ce livre quelques recettes sans prétention et à la portée de tous. Et à vrai dire, si elles peuvent être accompagnées d’un bon vin, c’est pas plus mal. De quoi nous faire voir la vie en rose … ou en rouge (c’est au choix !). Continuer la lecture

J. M. Coetzee et Thomas Bernhard : Autoportraits

« L’après-vous c’est pour quand d’après-vous ? » (Raymond Devos)
Il est des fois où le hasard fait bien les choses. Il est donc heureux que paraissent en poche, et en même temps, les textes de Bernhard et de Coetzee, Mes prix littéraires et L’été de la vie. L’un publié en 2009 à titre posthume (Bernard meurt en 1989 à Gmunden). L’autre publié à titre faussement posthume en 2010 (Coetzee est né en 1940 au Cap). Cela tombe d’autant plus à point que nous entrons maintenant dans la sacro-sainte saison des prix littéraires. Et nos deux auteurs ne manquent pas de décorations ! Continuer la lecture

L’Amérique d’après

Dès ses premières phrases, Sukkwan Island vous saisit et vous trouble. Insolite, à mi-chemin entre le roman d’initiation, la littérature des grands espaces et l’intrigue policière, l’univers dépeint par ce sombre texte fait directement écho à l’auteur de la Trilogie des confins, Cormac McCarthy, et à ses univers rudes et oppressants (auteur que David Vann respecte et admire, comme il l’a indiqué lors de sa venue à la librairie). On pense à La Route, à ses paysages désertés et hostiles, à la relation père/fils et ses enjeux de transmission, au mythe de la frontière et celui des pionniers, pilgrims qui firent l’Amérique. Là où McCarthy revient sur ce mythe fondateur de manière allégorique, David Vann choisit la voie de la dissonance et du récit grinçant. Continuer la lecture

Le ravissement de Britney Spears de Jean Rolin

Candide au pays des stars.
Lorsque j’ai pris connaissance de l’histoire du dernier livre de Jean Rolin – un espion français part à Los Angeles pour déjouer une tentative d’enlèvement ou d’assassinat de Britney Spears par des terroristes islamistes –, et, malgré toute l’admiration que je porte à l’auteur, je ne me suis pas précipitée sur le livre. Qu’est-ce que Jean Rolin, plus habitué à nous parler d’anonymes à l’identité parfois en perdition, allait faire dans cette galère qu’est le milieu des célébrités américaines ? Or, dès les premières pages, me voilà rassurée : je retrouve avec bonheur l’humour de Jean Rolin, et je suis certaine d’être embarquée pour un curieux voyage. Continuer la lecture

Touriste de Julien Blanc-Gras

Sous forme de petites chroniques géographiques, Julien Blanc-Gras nous montre le Monde, celui qu’il côtoie durant ses pérégrinations. Pour autant il ne s’agit pas ici d’accomplir quoi que ce soit. Les voyages en eux-mêmes n’ont souvent aucun but précis.

« Je ne veux ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas aussi exigeant. Touriste, ça me suffit. »

Et être touriste c’est avoir l’œil de celui  qui n’est jamais parti. Pour moi Julien Blanc-Gras a fait sienne la citation de Marcel Proust, « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux. »  Il a beau avoir parcouru une multitude de pays, admiré des dizaines de paysages,  rencontré des tas de personnes, il semble  porter en lui ce regard vierge à chaque nouvelle destination. Continuer la lecture

Les rêves de l’histoire de Corinne Aguzou

Le roman futur.
Paris 2009. Trois femmes ayant laissé des traces dans l’Histoire reprennent leur rôle.
Pour Margaret rien de plus simple, avion, limousine, chauffeur, garde du corps, secrétaire s’emploieront à rendre l’entreprise la plus agréable possible.
Pour les deux autres, Janis, bateau et Rosa, train, rien de plus compliqué. Comment d’outre-tombe faire entendre à nouveau leurs voix ?
Ce voyage permettra t-il à Margaret de constater l’aboutissement parfait de ses choix politiques appliqués aujourd’hui dans toute l’Europe ? Continuer la lecture

Hymne de Lydie Salvayre

Dans ce magnifique Hymne, l’auteur écrit à propos de la musique qu’elle est un « vertige éphémère ». Quand Lydie Salvayre entend  pour la première fois The star spangled banner par Jimi Hendrix, on est en 1972 et  elle a 20 ans. Dès qu’elle sent la fébrilité automnale l’envahir, elle le réécoute. En 2011 lorsqu’elle décide  d’écrire la vie, et la mort, du guitariste américain, elle publiera Hymne. Dès lors son vertige sera partagé et restera vivant. Continuer la lecture

Les villes de la plaine de Diane Meur

Imaginons un monde, une civilisation qui tiendrait autant de l’Egypte antique que des contes des mille et une nuits, une plaine peuplée par deux villes et bordée de montagnes, royaume des bergers. Sir et Hénab se font face comme deux présences inconciliables. De Hénab, on ne sait pratiquement rien, si ce n’est qu’elle est historiquement le lieu de refuge des réprouvés siriotes. Hénab, ville haïe parce qu’elle n’est pas Sir, à peine un très imparfait reflet : « Hénab n’est qu’une flaque qui s’étend, sans idée, sans contours, tu l’abomines comme l’image même de ce que tu n’es pas », disent les habitants de Sir. Continuer la lecture

Solène de François Dominique

Les ombres sont un thème majeur de la littérature. Pour s’en assurer, on pourra retrouver combien elles ont inspiré les écrivains dans la volumineuse bibliographie qui leur est consacrée dans le site de la librairie Ombres blanches.
Ici, dans ce roman lumineux, au titre volontairement aveuglant de Solène, les ombres ont le mauvais rôle, comme souvent. Tout est pourtant en place pour que les personnages vivent leur réclusion autrement que dans l’angoisse de la plupart des huis-clos romanesques. Continuer la lecture