Les villes de la plaine de Diane Meur

Imaginons un monde, une civilisation qui tiendrait autant de l’Egypte antique que des contes des mille et une nuits, une plaine peuplée par deux villes et bordée de montagnes, royaume des bergers. Sir et Hénab se font face comme deux présences inconciliables. De Hénab, on ne sait pratiquement rien, si ce n’est qu’elle est historiquement le lieu de refuge des réprouvés siriotes. Hénab, ville haïe parce qu’elle n’est pas Sir, à peine un très imparfait reflet : « Hénab n’est qu’une flaque qui s’étend, sans idée, sans contours, tu l’abomines comme l’image même de ce que tu n’es pas », disent les habitants de Sir.
Sir, au contraire, est une cité fière et orgueilleuse, à l’image de ses habitants. On devine à première vue qu’elle est une ville prospère où il fait bon vivre. L’ordre y règne grâce à l’abondante somme de lois promulguées par Anhouer, fondateur de la ville et législateur élevé au rang de dieu ainsi que par la présence organisée des confréries de corps de métier. Diane Meur fait de ce monde imaginaire le théâtre de sa tragi-comédie qui emprunte volontiers aux thèmes du conte philosophique, de la contre-utopie et du roman de mœurs.
Le roman s’ouvre lorsque le collège des juges – ces notables obéissant et faisant appliquer les lois avec rigueur- confie à Asral un maître copiste la tâche de produire un nouvel exemplaire des rouleaux des lois d’Anhouer. C’est un grand honneur pour Asral d’avoir été désigné et c’est aussi le moyen d’éprouver sa foi. Asral est un homme docte. A côtoyer de si près les livres de la loi, il en vient à penser qu’il y a là quelque chose de bancal, comme si le socle sur lequel repose toute sa civilisation trouvait son origine dans le mensonge. Mais, s’interroger sur l’immuabilité des lois, c’est déjà blasphémer. Laisser la place au doute dans la foi, c’est déjà engendrer le chaos. Tout l’enjeu du roman tient dans cette possibilité d’imperfectibilité de l’interprétation des lois. Qu’adviendrait-il d’une civilisation si l’on se rendait compte que les tables de la loi ont toujours été mal interprétées ? Que serait une démocratie qui reposerait sur un malentendu fondamental  ? À coup sûr une dictature. Que peut-il advenir d’une civilisation quand on en conteste les dogmes religieux comme sociaux ? Diane Meur met en scène avec une très grande subtilité ce moment où une société bascule de l’ordre dans le chaos.
La lecture du roman de Diane Meur relève du sentiment d’émerveillement, parce qu’il fait appel à l’intellect autant qu’au passionnel.
Du passionnel, en premier lieu, parce que c’est un roman qui, par ses personnages et la force de l’intrigue, mais aussi par la création d’un monde pittoresque, vient à parler à nos sens et nous fait participer à cet enchantement.
De l’intellect, parce qu’il est un bel outil de questionnement sur les fondements et la stabilité d’une société dans ses rapports à la croyance et à la soumission dans les lois.
Les villes de la plaine est un roman profondément attachant, mais aussi profondément juste, dans le sens où il pousse le lecteur vers ce qu’il a de meilleur. L’écrivain espagnol Rafael Chribes écrit dans La stratégie du boomerang (1) : « Il n’y a pas d’ordre romanesque sans point de vue, ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de roman si l’auteur n’y met pas à l’épreuve son bagage éthique. (…) On parle d’éthique et on croit entendre des violons, alors que, depuis toujours, ce mot porte en lui une charge offensive de chagrin et de violence » et c’est ce qui semble à l’œuvre ici.
(1) L’essai de Rafael Chirbes La stratégie du boomerang est à paraître le 20 octobre 2011 chez Alma éditeur.
Retrouvez le livre de Diane Meur dans notre dossier Rentrée littéraire 2011.
 
      Les villes de la plaine – Diane Meur – Sabine Wespieser, 2011 – 23€
 
 
 
 

1 réflexion sur « Les villes de la plaine de Diane Meur »

  1. Je viens de finir ce livre, et je partage votre opinion. Ce roman est magnifique, et l’auteur est nourrie, profondément, de la Bible et de l’histoire de l’Egypte antique. Elle a su recréer un monde, une civilisation, et des personnages vivants et attachants. Il y a aussi une réflexion très intéressante sur le regard que les modernes portent sur les société antiques.

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