L’annexe, Catherine Mavrikaki

D’évidence depuis le début ce ce temps long qui nous est offert par la « crise sanitaire », je me plais à alterner les lectures. Certaines relèvent de la « Tempête sous un crane » comme le disait Victor Hugo à propos de Monsieur Madeleine au moment il hésite à se dénoncer et dévoiler sa véritable identité de Jean Valjean alors même que le pauvre Champmathieu risque la potence. C’est-à-dire ces romans éminemment psychologiques qui déploient les mondes intérieurs des personnages, qui mettent en évidence les subtilités et complexités de l’être humain.
D’autres lectures sont plus comme des fenêtres ouvertes sur le monde : romans d’aventure, contemporains ou non, histoires du passé, romans d’action, de tribulations, ou qui m’ouvrent sur un exotisme, un univers qui m’est inconnu.

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Le retour du printemps

Lecteur depuis des années des Carnets de notes de Bergounioux, c’est devenu pour moi une tradition, un printemps sur deux, que d’en lire un volume en regardant les bourgeons sortir. La place qu’il donne à la nature, à la pêche, à ses recherches entomologiques, aux minéraux, m’aide à sortir de la grisaille et de l’humidité hivernales. Et en cette saison plus calme en nouveautés en librairie, j’apprécie d’aborder le temps long, la vie qui passe, qui se construit par habitudes, par gestes sans arrêt recommencés qu’il retranscrit merveilleusement. Comme l’humain n’échappe pas aux cycles de la nature, et ne peut vivre qu’en s’intégrant à la Vie.

Pierre Bergounioux


Cette année, le plaisir est différent.J’ai toujours le bonheur de voir les tulipes éclore, de semer des basilics, de planter de nouvelles variétés de thyms, de sauges. Je mesure d’autant mieux ma chance, qui doit tellement manquer à nombre d’entre nous. Et pourtant. Lors de ces années 2011-2015, Bergounioux se retire dans la lecture. Les soucis de santé accaparent sa pensée, son corps. Il sort moins, souffre du froid, craint le vieillissement, l’ombre de la mort, jour après jour. La différence de ton est palpable, l’angoisse omniprésente.
Mais si je n’y trouve pas ce que j’étais venu y chercher, c’est une nouvelle aventure de lecture que ce quatrième Carnet. Plus sombre, parfois même renfermé, aigre. Je n’arrive pas à le lire d’une traite, comme les autres. Je ressens le besoin d’aérer ma lecture, de reprendre du souffle. Certainement, ce sera l’un de ceux dont je me souviendrai le mieux, qui montre que chaque cycle ne reproduit pas à l’identique le précédent, mais évolue par touches sensibles.

George Sand à Nohant

A propos du livre de Michelle Perrot, George Sand à Nohant, Seuil, 2018.

Michelle Perrot est historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine des universités et militante féministe. Elle est l’auteure d’Histoire de chambres couronné par le prix Fémina de l’essai en 2009.

George Sand (1804-1876), écrivaine, dramaturge, critique littéraire, sensible à la cause des femmes et investit dans la vie politique de son temps.

Nohant, demeure du Berry dont elle hérite, devient son lieu de vie, elle le quitte parfois à regret pour ses voyages et le retrouve avec plaisir le moment venu. George Sand est indissociable de Nohant, elle y construit sa vie privée et veut aussi en faire une maison d’artiste, comme un contrepoint au parisianisme ambiant du XIXe siècle.

George Sand en 1850. Fusain de Thomas Couture.

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L’attente et l’oubli

Que reste-t-il lorsque la mémoire des moments d’avant a disparu ? Ne reste t-il qu’à vivre la suite des moments présents ?
Certains de nos lieux, de nos maisons, semblent n’être destinés qu’à la succession des instants, fugitifs. La « vie moderne » a inventé des espaces livrés à l’attente, au désœuvrement, et destinés à dompter l’impatience. Les salles d’attente des hôpitaux, des administrations, les salles de concert, les stades, les espaces publics en général, rassemblent des dizaines, des centaines, des milliers de corps et de visages pris dans l’interrogation d’un être ensemble hasardeux et fugace. Que l’on se retrouve momentanément rapprochés, dans le même séjour, dans l’espoir de la résolution d’un problème, intime, financier, juridique, de santé, ou que la réunion de nos corps précède dans la fébrilité le partage à venir d’une émotion musicale ou théâtrale, nos singularités ont du mal à résister à l’embarras de soi, à la dictature du comportement. Ici et là, les regards se croisent, glissent le plus souvent les uns contre les autres. Il s’agit que notre liberté ne soit pas compromise dans l’interprétation d’un coup d’œil.  
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Pour Geneviève Brisac

Des livres, Geneviève Brisac en écrit, elle en a publié beaucoup, et elle en parle avec passion et connaissance ; son œuvre comme ses propos critiques explorent l’intime et les minuscules mouvements du monde .

J’ai rencontré Geneviève Brisac, voici pas mal d’années, dans le cadre de mon travail au rayon jeunesse de cette librairie : elle était alors l’éditrice des romans à l’École des loisirs (collections Mouche, Neuf et Médium). J’admirais la construction de son catalogue et aussi celui qu’elle avait créé précédemment pour la collection Page Blanche chez Gallimard jeunesse. J’attendais toujours avec impatience les nouveautés des auteurs qu’elle a découverts et fait connaître : Agnès Desarthe, Susie Morgenstern, Valérie Zenatti, Malika Ferdjoukh, Christophe Honoré, Olivier Adam… parmi tant d’autres (pardon pour tous ces noms que je ne peux citer in-extenso et qui nous ont régalés pendant plusieurs décennies …). Elle nous a également conduit à Aaron Appelfeld, comment pourrais-je ne pas le rappeler !

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Sauver Carmen

Sophie Rabau est enseignante-chercheuse en littérature générale et comparée à la Sorbonne, avec un sacré grain de folie, juste ce qu’il faut pour donner une autre lecture de la littérature. Le présent essai s’intéresse à la nouvelle de Prosper Mérimée, Carmen . Au terme de la nouvelle, Carmen, la bohémienne vénéneuse meurt poignardée par son amant Don José.

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Verticales : de nouveaux horizons

Vous vous souvenez de 2001, L’odyssée de l’espace. Vous vous souvenez du Zarathoustra de Richard Strauss, surprenant, inaugural. Vous avez encore en mémoire les images de crinolines de métal et Le Beau Danube bleu, « la » valse de l’autre Strauss, réinventée par Stanley Kubrick, et qui lui est depuis cinquante ans indissociable. Vous n’avez pas oublié Lux Aeterna et le Requiem de Ligeti, qui sont venus surprendre vos oreilles et les attacher à des sons nouveaux. Vous aurez aimé cette nouvelle association entre des images et des sons.

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Le transhumanisme en littérature

 En 1957 un objet terrestre, fait de main d’homme, fut lancé dans l’univers. Pendant des semaines, il gravita autour de la Terre conformément aux lois qui règlent le cours des corps célestes […]. Certes le satellite artificiel n’était pas un astre, il n’allait pas tourner sur son orbite pendant ces durées astronomiques qui à nos yeux de mortels enfermés dans le temps terrestre paraissent éternelles. Cependant, il put demeurer quelque temps dans le ciel ; il eut sa place et son chemin au voisinage des corps célestes comme s’ils l’avaient admis, à l’essai, dans leur sublime compagnie.

Cet événement, que rien, pas même la fission de l’atome, ne saurait éclipser, eut été accueilli avec une joie sans mélange s’il ne s’était accompagné de circonstances militaires et politiques gênantes.Mais, cette chose curieuse, cette joie ne fut pas triomphale ; ni orgueil ni admiration pour la puissance de l’homme et sa formidable maîtrise n’emplirent le cœur des mortels qui soudain, en regardant les cieux, pouvaient y contempler un objet de leur fabrication. La réaction immédiate, telle qu’elle s’exprima sur-le-champ, ce fut le soulagement de voir accompli le premier « pas vers l’évasion des hommes hors de la prison terrestre ».

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La splendeur dans l’herbe – Patrick Lapeyre – Éditions P.O.L

Homer, la quarantaine, rencontre Sybil suite au départ de leurs compagnons, Emmanuelle et Giovanni, pour Chypre. Lui, Homer, habite à Paris, il est comptable. Elle, Sybil, habite en Seine et Marne. Homer et Sybil passent du temps ensemble et sont à peu près sûrs de s’aimer. Cependant, le poids et les souvenirs de leurs anciens amants et les nouvelles qu’ils reçoivent de leur vie commune, veillent sur eux et les empêchent de vivre pleinement leur choix. Ils sont incertains. Le roman se double de l’histoire des parents d’Homer, Arno et Ana Hillmann, et l’on découvre l’enfance d’Homer, un peu traumatisée, et un couple qui vit mal ensemble.
Patrick Lapeyre écrit avec acuité la fragilité de ces personnages qui sont plus ou moins exilés du temps qu’ils vivent et pour qui les décisions sont dures à prendre. Ils cherchent à atteindre une vérité, qui les dévoilerait, et qui les aiderait à dépasser le pressentiment du malheur. Des lieux, des personnages, l’expérience de l’amour, La splendeur dans l’herbe est traversé de bout en bout par une étrange profondeur. C’est un roman dans lequel nous sommes bien et qui nous raconte de belles choses sur le sentiment amoureux.
J’ai beaucoup aimé ce livre. Je vous le conseille vivement.
La splendeur dans l'herbe
 
La splendeur dans l’herbe – Patrick Lapeyre – Éditions P.O.L

Envoyée spéciale – Jean Echenoz – Éditions de Minuit.

Tenter de résumer le dernier roman de Jean Echenoz c’est prendre un risque inutile. En effet, l’une des choses marquante de ce roman, c’est sa machinerie interne très bien huilée, qui nous fait nous demander, par moments, comment cela peut tenir debout. Cette architecture se construit d’une série de scènes qui nous raconte les relations des personnages entre eux et fait avancer l’intrigue. L’un des aspects qui rend ce texte savoureux, c’est cette façon qu’a le narrateur d’arbitrer, d’ordonner, d’agencer son histoire comme il lui plaira. Et tout lui semble permis. C’est cette liberté qui lui permet d’user de tous les possibles pour imaginer la suite de son histoire. Un affranchissement qui laisse penser par instant, que ce narrateur pourrait être lui-même manipulé par quelqu’un d’autre.
Envoyée Spéciale est une histoire un peu invraisemblable Continuer la lecture