Le méridien de Greenwich comme l’équateur sont on le sait des lignes imaginaires. L’homme les a conçues par commodité pour l’aider à la cartographie du monde, pour le rendre intelligible.
Peut-être en va t’il ainsi plus souvent qu’on ne le pense : l’homme a besoin d’habiter le monde physique aussi par des portions de territoires imaginaires.
La littérature trouve là une de ses raisons d’être. Une des tâches du romancier est de donner à lire une vision du monde. Mais le monde est multiple et complexe et l’écrivain peut avoir recours à l’imaginaire pour donner corps et réalité à ses visions.
Bruno Schulz débute sa nouvelle Le traité des mannequins (in les boutiques de cannelle ) par ces phrases que l’on peut tenir pour un bel hommage aux forces vives de la littérature.
« le démiurge n’a pas le monopole de la création. La création est le privilège de tous les esprits. La matière possède une fécondité infinie, une force inépuisable et en même temps une puissance de séduction qui nous pousse à la modeler. Dans les profondeurs de la matière se dessinent des sourires imprécis, de conflits se nouent, des formes ébauchées se condensent. Elle ondoie tout entière des possibilités inachevées qui la traverse de frissons vagues. Dans l’attente d’un souffle vivifiant elle oscille sans fin et nous tente par des millions de courbes molles et douces nées de son délire ténébreux. »
Moralités légendaires
Jules Laforgue, Flammarion, 2000
Les récits de Laforgue ne relèvent d’aucun modèle connu.
Ils relatent avec la plus déconcertante désinvolture le mal d’aimer et le mal être, en entremêlant toutes sortes de références littéraires et culturelles. Ils se jouent des grands mythes et des œuvres célèbres en faisant alterner les jeux de la parodie, les bouffonneries sacrilèges, le récit poétique.
Ici, Hamlet pousse un dernier soupir en s’écriant : « Quel grand artiste meurt avec moi ! » là, Salomé débite des propos délirants à une assistance qui se demande à quelle heure on la couche.
A tout moment, le récit emprunte des voies buissonnières oú l’écriture s’invente dans l’exultation.
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