En 1940, lorsqu’elle se met à étudier ce qu’elle appellera la civilisation occitanienne ou romane, Simone Weil « prend feu », selon les mots de Jean Ballard qui lui propose de participer à un numéro spécial des Cahiers du Sud, la mémorable revue qu’il dirigeait, intitulé Le Génie d’Oc et l’homme méditerranéen. Les deux textes proposés ici, signés sous le pseudonyme anagrammatique Émile Novis du fait de la consonance juive de son patronyme, témoignent de la contribution de la philosophe et portent la marque de cette incandescence. Dans « L’agonie d’une civilisation à travers un poème épique », Simone Weil, à partir de La chanson de la croisade contre les Albigeois, dresse le portrait de cette prometteuse civilisation dont Toulouse était le cœur et qui, telle une autre Troie, a été brutalement et irrémédiablement abattue au XIIIème siècle. Selon le poète anonyme partisan du camp occitan qui a rédigé la deuxième partie de la chanson et qu’étudie plus particulièrement Simone Weil, les valeurs que défendent les gens d’Oc sont « parage », « merci », « prix » et « joie ». Dans notre langue, « parage » signifie la lignée nobiliaire. Pour le poète de Toulouse, ce mot désigne l’égalité de naissance ou l’égal égard, la dignité partagée par les membres de la cité : les chevaliers, les bourgeois et la communauté. Tous défendent la bonne ville : « Le comte ne fait rien sans consulter toute la cité, « li cavalier el borgez e la cuminaltatz », et il ne lui donne pas d’ordres, il lui demande son appui ; cet appui tous l’accordent, artisans, marchands, chevaliers, avec le même dévouement joyeux et complet. »

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