Parmi les lieux qui semblent difficiles à prendre au sérieux, Miami se taille une belle part. Les images du rêve américain des années des deux après-guerres cachent difficilement une histoire du sud. Ici, l’esclavage et les guerres indiennes autour du Mississippi ont fait la place, depuis un siècle, aux bateaux de plaisance, aux maillots deux-pièces et autres accessoires, aux palaces et autres voitures de luxe, casinos, mafia et huile de bronzage. Ces fantaisies qui fascinent ou exaspèrent les vieux habitants de l’Europe, Jean-Paul Dubois les connaît bien, il en a rendu compte dans ses chroniques sur l’Amérique, avec un regard interrogatif, parfois médusé, souvent amusé toujours amical.
L’écrivain, pour son retour aux lettres après cinq ans d’absence, n’a pas hésité à installer son nouveau roman, La Succession, au cœur des excès de la Floride. Mais de Miami, des travers de la violence, du racisme, des outrances et des laideurs, des artifices d’une société gavée de marques de richesse, Jean-Paul Dubois sait s’en déjouer. Il contourne. Des personnages singuliers, l’humour, une évidente noirceur, maintiennent à une aimable distance les clichés de la sous-culture people. C’est surtout la communauté hispanophone de Miami, seconde capitale cubaine, qui engage le roman dans un monde vivant, se gaussant des poncifs, se prévalant de sa langue, un espagnol très présent dans l’écriture et la musique du roman. L’argent n’est pas du luxe, il est le moteur de vies quotidiennes pas toujours faciles, dans ce minuscule milieu de la pelote basque (plus exactement de la cesta punta) dans lequel nous immerge l’auteur, milieu fait d’exilés, cubains, boliviens, colombiens, et surtout basques, recrutés entre Biarritz et Saint-Jean-de-Luz pour traverser l’Atlantique et exciter les parieurs, nombreux autour des frontons.
Non loin du pays basque, dans la vieille Europe, l’exil vient aussi nourrir d’autres histoires, en particulier celle du narrateur, personnage central du roman. Paul est l’héritier par sa famille du cosmopolitisme le plus européen qui soit, fait de l’histoire de la Russie (celle de Staline et de Prokofiev, des complots, des exécutions et des fuites), d’un nom à consonance grecque, d’un ami hongrois, mais surtout de façons d’exilé définitif, héritage d’une famille singulière, éparpillée dans ses manières et dans ses relations, composée d’autant de candidats au suicide. A la suite du décès de son père, le retour au pays, dans les quartiers tranquilles de Toulouse, ne pourra se résoudre au règlement simplement matériel d’une succession que Paul appréhende. Toute famille possède ses secrets, parmi ceux-ci il est une sorte de « secret magnifique » qui aura lié le père à quelques-uns de ses patients. Pourtant rien ne viendra consoler Paul d’un arrachement originel, moins encore son histoire d’amour perdu, qu’il vit comme le veuf inconsolable d’un amour obsessionnel pour une femme en âge d’être sa mère. Sur ces fonds de mélodrame flamboyant (Magnificent obsession de Douglas Sirk, Corps à cœur de Paul Vecchiali), le désenchantement se lie à la puissance de la névrose pour rendre inéluctable la fin la plus noire. Sous quel charme Jean-Paul Dubois nous tient-il, raconteur des extravagances du monde, des mystères de la nature et des âmes, pour rendre soutenable le portrait si gris de cette famille toulousaine ? Sans doute le contraste avec les couleurs de la Floride rend-il supportable ce monde d’évidence sans illusion. Pour son retour aux livres, le romancier toulousain affirme encore ici son goût pour la lumière de « l’outre-noir ».
Nous recevrons Jean-Paul Dubois à la librairie le vendredi 16 septembre à 18h.
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