« Je n’ai pas de souvenirs d’enfance » : je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L’on n’avait pas à m’interroger sur cette question. Elle n’était pas inscrite à mon programme. J’en étais dispensé : une autre histoire, la Grande, l’Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps.»
C’est Georges Perec qui écrit cela dans W ou le souvenir d’enfance. Et il est vrai que l’Histoire celle avec sa grande hache occupe une place de choix dans la littérature mondiale.
Il y a celle qui s’inscrit dans le souvenir, la littérature a alors valeur de témoignage, mais il y a aussi toute une histoire littéraire qui s’escrime à retracer le parcours de l’homme à travers les âges, comme pour lui donner une valeur plus importante ou peut-être plus symbolique.
Bien entendu, la littérature est faite par l’homme et pour l’homme, mais il est des fois ou elle transcende son sujet propre qui la fait s’élever vers quelque chose de plus grand encore…
Mesure de nos jours
Charlotte Delbo, Minuit, 1971
Et toi, comment as-tu fait ? pourrait être le titre de ce troisième volume de Auschwitz et après. Comment as-tu fait en revenant ? Comment ont-ils fait, les rescapés des camps, pour se remettre à vivre, pour reprendre la vie dans ses plis ? C’est la question qu’on se pose, qu’on n’ose pas leur poser. Avec beaucoup d’autres questions. Car si l’on peut comprendre comment tant de déportés sont morts là-bas, on ne comprend pas, ni comment quelques-uns ont survécu, ni surtout comment ces survivants on pu redevenir des vivants. Dans Mesure de nos jours, Charlotte Delbo essaie de répondre, pour elle-même et pour d’autres, hommes et femmes, à qui elle prête sa voix.
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Au bout des comédies
Michel Jullien, Verdier, 2011
Qu’elle s’exalte dans la gloire ou se dissolve dans la déchéance, la dignité humaine ne va pas sans une part d’absurde, d’ironie saugrenue, de dérision subsidiaire. C’est ce que relève Bernanos lorsqu’il affirme que » le ridicule n’est jamais très éloigné du sublime « .
Dans une suite de tableaux aussi tendres que cruels, Michel Jullien décline cette loi en l’appliquant à une galerie de héros des siècles passés. Hommes, femmes, enfants, animaux se débattent sous nos yeux, en plein risible, lorsque vacille leur destin, quand s’interrompt pour eux l’agitation vaine du monde. Ovide chez les Barbares, Sarah Bernhardt amputée face à Roald Amundsen conquérant du pôle Sud, l’éléphant neurasthénique de Léon X enfermé au Vatican, un condamné devenu appât des sauvages sur la route des Indes, l’athlète Astylos de Crotone voué à l’anathème par ses concitoyens… toute une humanité qui, face à l’adversité du monde – guerre, racisme, ostracisme, exil, maladie – ou en quête de prodiges dérisoires ou admirables, tantôt s’effondre, s’efface ou enchérit, tantôt consent à sa condition.
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Les onze
Pierre Michon, Gallimard, 2011
Les voilà, encore une fois : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère,Lindet, Saint-Just, Saint-André. Nous connaissons tous le célèbre tableau des Onze où est représenté le Comité de salut public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l’an II et la politique dite de Terreur.
Mais qui fut le commanditaire de cette œuvre ? A quelles conditions et à quelles fins fut-elle peinte par François-Elie Corentin, le Tiepolo de la Terreur ? Mêlant histoire et fiction, Michon fait apparaître, avec la puissance d’évocation qu’on lui connaît, les personnages de cette « cène révolutionnaire », selon l’expression de Michelet qui, à son tour,devient l’un des protagonistes du drame.
Grand Prix du roman de l’Académie française 2009
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Le Dieu manchot
José Saramago, Point, 2008
Balthazar Sept-Soleils et Blimunda Sept-Lunes, lui soldat, elle sorcière, se sont rencontrés à Lisbonne, ville des plaisirs et de la religion, des sacrifices et de la sensualité. Ils sont témoins des grands événements portugais du XVIIIe siècle : l’édification du gigantesque palais-couvent à Mafra, celle de la machine volante du moine Bartolomeu de Gusmäo, les bûchers de l’Inquisition, les tentations alchimiques…
Épique, blasphématoire, Le Dieu manchot est une grande fable baroque sur fond d’intrigues et d’épidémies, où les opprimés et les laissés-pour-compte sont les héros de l’Histoire.
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Le maître de thé
Yasushi Inoué, LGF, 2000
« Monsieur Rikyu a assisté à la mort de beaucoup de samouraïs… Combien d’entre eux ont dégusté le thé préparé par Monsieur Rikyu avant d’aller trouver la mort sur le champ de bataille ? Quand on a assisté à la mort de tant de guerriers, on ne peut pas se permettre de mourir dans son lit ! » Non, Monsieur Rikyu (1522-1591), Grand Maître de thé issu du bouddhisme zen, n’est pas mort dans son lit ! Il s’est fait hara-kiri à l’âge de 69 ans. Pourquoi s’est-il donné la mort ? Un vieux moine, son disciple, tente d’élucider le mystère de ce suicide.
Ce livre-enquête nous projette dans le Japon de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle. A cette époque, la cérémonie du thé était un acte grave, un rituel qui témoignait d’un engagement redoutable, empreint d’exigences éthiques et politiques, prétexte parfois à des négociations secrètes.
Le Maître de thé est donc tout naturellement un roman d’initiation, de méditation, lyrique et sensuel à la fois. A travers la figure historique de Rikyu, Yasushi Inoué (1907-1991) dresse le portrait d’une génération hantée par la mort. Étrange de penser qu’il a écrit là son dernier récit et sans doute son chef-d’oeuvre, publié en 1991, l’année même de sa disparition !
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L’œuvre au noir
Marguerite Yourcenar, Gallimard, 1976
En créant le personnage de Zénon, alchimiste et médecin du XVIe siècle, Marguerite Yourcenar, l’auteur de Mémoires d’Hadrien, ne raconte pas seulement le destin tragique d’un homme extraordinaire. C’est toute une époque qui revit dans son infinie richesse, comme aussi dans son âcre et brutale réalité ; un monde contrasté où s’affrontent le Moyen Âge et la Renaissance, et où pointent déjà les temps modernes, monde dont Zénon est issu, mais dont peu à peu cet homme libre se dégage, et qui pour cette raison même finira par le broyer.
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Récits de la Kolyma
Varlam Chalamov, Verdier, 2013
Cette édition de poche établie à partir de la version intégrale publiée en 1//1 rassemble plusieurs récits remarquables qui retracent l’expérience de Varlam Chalamov dans les camps du Goulag où il passa dix-sept années de sa vie. Le camp, dit Varlam Chalamov, est une école négative de la vie. Aucun homme ne devrait voir ce qui s’y passe, ni même le savoir. Il s’agit en fait d’une connaissance essentielle, une connaissance de l’être, de l’état ultime de l’homme, mais acquise à un prix trop élevé.
C’est aussi un savoir que l’art, désormais, ne saurait éluder
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Le dictionnaire Khazar
Milorad Pavic, Le Nouvel Attila, 2015
« Rien de plus affligeant qu’un livre qui se lit fatalement de la première à la dernière page », écrivait Paris Match à la sortie de ce livre en 1988 : un livre dont il existe trois versions (arabe, juive et chrétienne), des exemplaires « masculins » et « féminins », qui n’a ni début ni fin, et fourmille de légendes, au carrefour de l’Orient et de l’Occident.
Le Dictionnaire khazar relate, sous forme de dictionnaire et du point de vue successif d’un rabbin, d’un derviche et d’un prêtre, l’histoire et la dispersion du peuple khazar, peuple nomade et guerrier fixé au VIIe siècle entre la mer Noir et la mer Caspienne, fameux pour ses chasseurs de rêves. Ce roman est aussi une encyclopédie, un recueil de légendes apocryphes, un ouvrage de mystique, un traité de philologie, une somme de biographies puisant aux sources hermétiques, cabbalistiques, cathares et bogomiles. L’esprit de Borges qui aurait infusé Tolkien dans une suite aux Mille et une nuits.