Entretien avec Galin Stoev, metteur en scène et directeur du
Théâtre National de Toulouse
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours depuis Sofia, en Bulgarie, où vous êtes né ?
Je suis né en Bulgarie, puis j’ai grandi à Moscou jusqu’à mes 7 ans, je suis ensuite revenu en Bulgarie où j’ai fait mes études à l’Académie Nationale de Théâtre de Sofia. Je fais partie de cette génération qui a commencé à travailler tout de suite après la chute du mur de Berlin. C’était vraiment un grand bouleversement dans la société. Esthétiquement, beaucoup de choses ont changé dans le théâtre et toutes les institutions avaient besoin de sang neuf. Les portes des théâtres nationaux se sont ouvertes. Ma génération était là et, très vite, nous avons commencé à travailler dans des grands théâtres.
Rapidement, j’ai pu travailler et me former sur les scènes les plus importantes de Bulgarie. Je me suis alors demandé comment ça se passait ailleurs. Poussé par cette curiosité, j’ai commencé à voyager. J’ai passé du temps en Angleterre, en Allemagne où j’ai pu me confronter à d’autres pratiques et d’autres modèles de pensées. J’ai pu réfléchir à ma manière de concevoir le théâtre. Ces modèles changeaient selon la géographie, la tradition de chaque lieu et, souvent, c’était des philosophies qui étaient en opposition. Le seul endroit où je pouvais les réconcilier, c’était dans ma pratique du théâtre. Mon expérience francophone a commencé en 2002, quand j’ai été invité à donner une master class à Bruxelles. De là, est né un spectacle, Oxygène, avec lequel nous avons tourné pendant 5 ans dans de nombreux pays. Très vite, les choses se sont enchaînées avec le Théâtre de Liège : Genèse n°2 d’Ivan Viripaev, programmé ensuite au Festival d’Avignon avec la Comédie Française.
Au bout de quelques temps, je me suis à nouveau demandé quel serait l’endroit qui me ferait sortir de ma zone de confort. J’avais touché à différentes traditions, différents domaines de création, différentes pensées et j’ai cherché à réinvestir tout ça dans mon travail. C’est à ce moment qu’a émergé l’idée de m’engager à long terme avec un théâtre.
De l’extérieur, ce parcours semble assez construit et réfléchi alors que, de l’intérieur, j’ai l’impression que tout s’est fait de manière spontanée et pas du tout calculée.
Pour vous, qu’est-ce que faire du théâtre aujourd’hui ?
C’est continuer de développer le rêve. Le théâtre reste aujourd’hui un des seuls endroits où l’on peut encore se permettre de rêver ensemble, de participer à un délire collectif, profondément poétique, qui est là pour rendre la réalité plus palpable et qui fait grandir l’univers. Ce rêve est intense, justement parce qu’il est collectif, parce qu’il fait se connecter ou re-connecter les individus en créant une énergie commune. La vitesse de la réalité augmente sans cesse, on a de moins en moins d’endroits où s’arrêter et s’enraciner dans le moment présent. Or, le théâtre est un outil incroyable pour produire cette magie. Il est très poétique et très abstrait tout en étant très concret et très ancré en nous.
Le théâtre est l’endroit où l’être humain peut se rencontrer lui-même : réinventer la communication à chaque instant, se poser des questions, regarder activement, être confronté à l’exigence, faire des choix. Ce sont des pratiques ordinaires qui trouvent, dans le théâtre, une autre dimension, celle de la création. Le théâtre c’est reconnaître la capacité de l’être humain à créer de la réalité, la sculpter, la vivre.
Pour ce premier spectacle présenté au TNT, vous avez choisi une nouvelle fois de mettre en scène Danse « Delhi », dont vous aviez créé une première version au Théâtre de la Colline il y a 6 ans. Pourquoi remonter cette pièce aujourd’hui ?
Il y a plusieurs raisons. Déjà, je change la langue. Je l’ai d’abord lue en russe. Ensuite, je l’ai mise en scène en français et je la reprends aujourd’hui dans ma langue maternelle. J’ai traduit la pièce du russe en bulgare car ce texte n’est pas connu en Bulgarie et je pense qu’il résonne profondément avec la condition humaine traduite par le contexte de ce pays. Avec la Russie, on a les mêmes racines, la même histoire, plus ou moins liée au changement de régime, et les mêmes codes. Les gens vont réagir différemment en Bulgarie et ou en France. J’aime voir comment les choses qui m’intéressent peuvent raisonner dans des contextes culturels et linguistiques différents, avec des traditions de théâtre et des écoles différentes. Quand tu changes la langue, tu travailles différemment. C’est-à-dire qu’une autre partie de toi se révèle et devient active justement pour agir dans ce contexte particulier.
Cette fois-ci, je change aussi l’échelle. Quand j’ai monté le spectacle à La Colline, on était dans la petite salle, parce que tu peux lire cette pièce comme une musique de chambre. Au Théâtre national de Sofia, j’aborde le grand plateau et, tout d’un coup, le texte commence à raisonner différemment.
Dans mon travail, j’essaie de mélanger des choses qui, normalement, ne se mélangent pas et de voir quelle sera la réaction chimique et émotionnelle de tout ça. Comme des bribes de vie, de traditions, d’expériences des différents pays où j’ai vécu. À travers ces expériences, j’ai réussi à faire ressortir quelque chose d’essentiel qui peut lier toutes ces pratiques artistiques et produire encore plus de sens ou créer des espaces de réflexion ou de ressentis. Je joue avec cette alchimie des différentes traditions, différentes langues dans ma pratique de metteur en scène : en mélangeant un texte russe avec des comédiens bulgares qui vont jouer devant un public français.
Danse « Delhi » est peut-être une des pièces les plus mûres d’Ivan Viripaev. Il arrive à concilier le plus d’extrêmes possibles. Il parle de thèmes graves et importants comme la mort ou la souffrance dans le monde. Il réussit à trouver un langage, une manière de s’exprimer qui est digne de correspondre à ces thèmes, tout en restant très ludique. C’est ce qui rend son écriture profondément théâtrale. La mécanique du jeu est inscrite dans la manière dont il écrit les phrases.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cet auteur, Ivan Viripaev, et votre parcours avec lui ? Comment ses pièces résonnent-elles chez vous ?
J’ai découvert cet auteur par hasard. En 2001, j’étais en Allemagne et un dramaturge allemand russophone me donne un texte contemporain russe. Il s’appelait Les Rêves (édité en français chez Les Solitaires intempestifs). C’est un texte court. Je l’ai lu et je n’ai rien compris mais pourtant j’ai eu l’impression d’avoir tout ressenti avec mon ventre. C’était vraiment viscéral. Pour matérialiser cette sensation, j’ai décidé de faire un spectacle qui s’appelait L’Archéologie des rêves, en 2002, au Festival International de Varna, en Bulgarie. L’expérience de la création a été marquante pour moi car, quelques jours avant la première, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de spectacle. J’ai arrêté la répétition pour quelques heures. En revenant, j’ai demandé aux comédiens d’oublier tout ce qu’on avait construit et ils se sont lancés dans une sorte d’improvisation et j’ai vu le spectacle se créer devant mes yeux. C’était hallucinant, je n’avais jamais vu ça dans ma vie. Ivan est venu à Varna pour voir le spectacle. Il est sorti très ému et on s’est parlé comme si on se connaissait depuis très longtemps.
Même si je connais de mieux en mieux son univers, il continue de me surprendre. Il y a toujours un dialogue entre nous. Dans un certain sens, nous avons grandi ensemble, lui dans son écriture et moi dans mon travail de metteur en scène.
Spectacle en bulgare, surtitré en français. Premier spectacle présenté à Toulouse par le nouveau directeur du TNT qui entrera en fonction en janvier. Sept pièces en un acte composent Danse «Delhi». Représentations au Théâtre National de Toulouse du 11 au 20 janvier 2018.