«Savais-je bien ce qui m’avait conduit dans le quartier étrange ou j’avais élu domicile ? À quel appel j’avais inconsciemment répondu lorsque je m’y étais installé ? De mon propre aveu, l’endroit ou nous nous trouvions avait donné un tour nouveau à ma vie.»
Je commence par cette citation prise à la page 160 du nouveau roman de Philippe Forest. J’aurais pu en choisir une autre tant j’ai surligné de passage de ce livre. Celui-ci me permet de préciser le décor et l’idée du retour, du revenant.
J’avais quitté Philippe Forest sur son magnifique Chat de Schrödinger et je me souviens encore de ces moments de lecture assez intense ou je cherchais à comprendre l’expérience qui me permettrait l’ exploration des perspectives, des angles, des états de conscience du narrateur. J’étais sorti de ce roman un peu déboussolé et un peu différent.
Ce nouveau livre, c’est l’histoire d’un homme qui revient dans une ville qu’il a quitté il y a quelque temps, plutôt un long temps. Cet homme n’aura de cesse de trouver un havre de paix. Pour cela il scrute la ville dans de longues marches. Cette ville lui semble contenir des messages qu’il ressent comme une sorte de progression du danger, de la perte, de la disparition. Chapitre après chapitre, l’ensemble comme une symphonie, de nouveaux mystères apparaissent, un incendie, une rencontre, des discours prophétiques, une inondation, un chat et à travers tout cela le chemin du narrateur se dessine. L’écriture de Philippe Forest est hypnotique, enchanteresse, inquiétante et voluptueuse comme les « volutes partent en fumée, vers des flûtes enchantées » ( cf . Volutes Alain Bashung).
Volutes est un peu hors sujet. Donc, ce livre comme une sorte de symphonie urbaine. Le narrateur habite dans la ville et il apprécie d’y être parce que ça lui rappelle des souvenirs et parce qu’il y fait des rencontres. Cependant, les personnages qu’il croise sont habités par d’étranges faiblesses, et ces zones incertaines donnent au roman une atmosphère mystérieuse et inquiétante. Souvent, les pensées du narrateur s’en vont vers la mélancolie, vers le temps du passé ou l’absence occupe un espace important.
«J’ai parlé d’amour. Sans doute était-ce imprudent de ma part. C’est un bien grand mot dont nous ne nous servions jamais. Parce qu’il avait pour elle et pour moi un autre sens et qu’il nous paraissait plus honnête de le réserver à d’autres histoires que nous avions vécues, que nous vivions encore. » p. 154.
La place du narrateur est assez particulière dans ce livre. Ce personnage est en mouvement, disons qu’il va quelque part et qu’il poursuit son chemin, mais quelque chose d’extérieur lui donne une dimension plus objective, comme s’ il n’était pas seul et qu’une autre personne l’accompagnait dans son aventure. Comme dans l’expérience de Schrödinger, il y aurait une superposition d’état, de présence, qui influence la lecture parce que nous sommes dans l’ attente d’une modification qui pourrait advenir à chaque instant. Au bout de chaque phrase le mystère peut s’épaissir ou s’éclairer.
À nous de ne pas se perdre en chemin. L’écriture de Philippe Forest est très belle. Le regard de son personnage, entre beauté et tristesse, est aussi très beau, solidement émouvant et il réussit, en tout cas pour moi, à créer un dialogue dans « l’épanchement du songe dans la vie réelle… ».
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