Archives de l’auteur : Adrien
Neuves lectures antiques
Un livre ne vient jamais seul. Il en convoque aussi d’autres et nos lectures souvent se répondent et correspondent, se reliant entre elles en une cohérence étrange. Ainsi, deux livres à la démarche tout à fait différente voire opposée se rejoignent : La philosophie antique de Pierre Vesperini et Le Phédon, Philosopher en présence de la mort de Benny Lévy, issu d’un de ses cours sur le dialogue de Platon.
Dans son ouvrage, Pierre Vesperini étudie en historien la manière dont les anciens comprenaient la pratique ou plutôt les différentes pratiques de la philosophie. Par là, il dresse des portraits des philosophes grecs et latins assez éloignés de ceux auxquels nos manuels nous ont habitués. La philosophie antique apparaît ainsi sous un nouveau jour. Elle n’est plus le prodrome au déploiement de la raison occidentale, ni la phase préparatoire de notre modernité. Elle devient plus étrange, plus large, plus riche, plus diverse. À bien des égards, la philosophie antique dans ses différentes réalisations et sous divers aspects est une fête : célébration religieuse, performance, banquet des savoirs, jeu, délassement. Pierre Vesperini nous permet de porter un regard déshabitué sur un héritage que nous pensions acquis et familier, nous invitant ainsi à envisager autrement notre pratique des savoirs et peut-être aussi, plus généralement, nous-mêmes.

Raphaël, détail de la peinture L’école d’Athènes, avec Platon à gauche et Aristote à droite.
Le Génie d’Oc
Le non-agir efficace

Le philosophe Lao Tseu
Grandeurs sceptiques
La parution aux éditions Agone de la dernière version du bel ouvrage de Richard Popkin, Histoire du scepticisme, qui va de la Renaissance à la toute fin du XVIIIe siècle, donne l’opportunité de se pencher sur ce courant philosophique que l’on pourrait croire, à tort, marginal ou secondaire dans l’histoire de la pensée. Popkin montre, en effet, qu’avec la résurgence, à la Renaissance, des textes de Sextus Empiricus, c’est toute l’époque moderne qui se trouve travaillée par les arguments sceptiques : depuis la question de l’autorité dans l’Église au moment de la Réforme jusqu’à la théorie de la connaissance et la recherche d’un critère de vérité certain pour fonder la science.
La vie des plantes
Avant Jérusalem, avant La ligue des gentlemen extraordinaires, Les filles perdues, Promethea, V pour vendetta, From Hell ou The Watchmen, Alan Moore a déployé son fabuleux talent de conteur en reprenant le comics Swamp thing, créé par Len Wein et Berni Wrightson. Alors que les épisodes initiaux suivaient les aventures et la quête d’humanité du docteur Alec Holland, transformé en créature du marais suite à l’explosion criminelle de son laboratoire dans un bayou de Louisiane, Alan Moore dynamite et retourne très vite l’intrigue de manière assez folle. La créature du marais n’est pas Alec Holland, c’est, en réalité, un être végétal né de l’explosion chimique et devenu le support de la conscience du scientifique, qui lui est bien mort. La créature du marais devra donc faire le deuil de cette humanité rêvée et accueillir et devenir cette vie et cette forme d’incarnation des plantes qui la rattache à la nature entière.
Sa mission super-héroïque s’en trouvera ainsi considérablement élargie : il ne s’agit plus seulement de recouvrer sa propre identité, ni même de sauver l’humanité, il faudra désormais tâcher de préserver aussi ce monde végétal et la vie elle-même qui irrigue chaque être vivant. Et si l’atmosphère est toujours bien celle d’un comics horrifique, avec son bayou poisseux, les insectes qui grouillent, les cadavres en décomposition, les morts-vivants, si la folie guette et que la terreur attend, tapie, cette nouvelle dimension cosmique du héros, qui est donc aussi un monstre, lui confère quelque chose de solaire qui donne au marais lui-même des allures de paradis. Ce que rend parfaitement le dessin de Stephen Bissette : la créature du marais est un beau monstre dont la parure et les couleurs changent au fil des saisons.
Singulier retournement qui voit ce marais, source de peur et de mort, un enfer à fuir, devenir source de vie à protéger et d’une certaine façon même foyer. Et la descente aux enfers qu’effectuera la créature du marais, qui la rapproche d’Ulysse, Orphée ou Dante, montrera que l’enfer, davantage qu’un coin de nature, même poisseux, est ce que l’homme imagine. Changeant ainsi sens et images, osant par ailleurs, comme il le fera dans nombre de ses oeuvres ultérieures, varier les styles, les tons et les registres, en une architecture sophistiquée, Alan Moore prouve déjà qu’il est un immense magicien. Le deuxième tome de cette édition intégrale qui en comptera trois est à paraître prochainement.

Alan Moore en dédicace (2006). Licence CC by SA.
Une fleur éclot et le monde se lève
Depuis plus de quinze ans, Yoko Orimo et les éditions Sully ont entrepris ce travail colossal et merveilleux de traduire et publier la grande œuvre de maître Dôgen (1200-1253), le fondateur de l’école de bouddhisme zen Sôtô au Japon, le Shôbôgenzô, La vraie Loi, Trésor de l’Oeil.
Après la publication d’un volume d’introduction générale et de huit tomes regroupant l’intégralité des textes qui le composent répartis thématiquement, c’est désormais le Shôbôgenzô en entier, en un seul volume, selon l’ordre de Dôgen, qui poursuit et couronne ce travail remarquable. En effet, si le Shôbôgenzô intéressera assurément les amateurs de culture japonaise et de bouddhisme, ses vues, sa poésie, sa stature, en font aussi une œuvre apte à toucher tout le monde. L’abord en est certes parfois difficile pour nous, lecteurs occidentaux. L’imaginaire bouddhiste, chinois et japonais, les références présentes à chaque page nous dépaysent totalement. Pour autant, des visions, des tournures de langue, des audaces, des fulgurances, un cœur, un génie nous touchent et nous appellent.

Dōgen regardant la lune. Monastère de Hōkyōji, Japon, préfecture de Fukui. Domaine public.
Jean-Louis Chrétien, gloire au maître

La Grèce de personne
« Japon grec », l’expression ne paraîtra peut-être pas si étonnante pour qui aura appris l’amour d’Athéna à travers un dessin animé adapté d’un manga. Pour autant, il n’est pas immédiatement évident de qualifier ainsi le Japon, la Grèce étant d’emblée et le plus généralement comprise comme notre héritage, celui des occidentaux. C’est ce que pourtant dément l’appropriation de la Grèce par le Japon comme le montre de manière tout à fait remarquable Michael Lucken.

La faiblesse du vrai
