Girl in a Band

Les amateurs de rock ont le confinement malheureux. Leurs concerts sont annulés, ils ne peuvent pousser le son quand les voisins télé-travaillent, se sentent bien seuls en dansant dans le salon, n’ont plus l’occasion d’arborer toute leur panoplie…Personnellement abattu, découragé par mes proches d’écouter de l’indus, frustré de ne pouvoir pogoter plutôt que de faire des exercices de gainage, j’ai dû me résoudre à lire des livres sur le rock. J’ai donc pris Girl in a Band, l’autobiographie de Kim Gordon. Ecrit peu après son divorce d’avec Thurston Moore, et la séparation de leur groupe Sonic Youth, c’est un récit étrangement zen.


Née dans les années 50 au sein d’une famille très « middle class», progressiste, elle vécut heureuse sa jeunesse californienne, jusqu’à ce que la schizophrénie de son frère aîné ne s’aggravât. Elle fut alors malmenée, rabaissée, traumatisée par des violences que personne ne voulait admettre. Elle quitta rapidement cette famille, partit pour New York avec l’ardent désir de faire de l’art. Elle rencontra alors de nombreux galeristes, peintres, performeurs, musiciens. Notamment Thurston Moore, grand gars, guitariste, plutôt cool.
Jusque là, le récit est apaisé. Kim a pardonné à son frère, et continue de s’occuper de lui. Elle ne se drogue pas, malgré sa longue fréquentation du New York « beat », avec ses junkies, ses punks, ses prostituées, ses hipsters. Mais à partir de la création de Sonic Youth, elle élude. Prétextant le nombre de publications déjà parues, elle passe rapidement sur trente ans de carrière d’un des groupes fondamentaux de la scène alternative, no-wave, des années 80-90. Elle vagabonde, d’un événement à l’autre, détaille un ou deux titres de ses albums préférés, n’hésite pas à dire que ces souvenirs, plutôt que la réussite artistique, lui rappellent l’échec de son couple. Elle préfère parler des autres : Iggy Pop, Kurt Cobain (dont elle fut proche), Lydia Lunch, Kathleen Hanna, Julie Cafritz. Elle ne distingue jamais la musique des autres arts qu’elle pratique : peinture, danse, vidéo… et évoque la politique, le féminisme. Éternelle question des journalistes : « Ça fait quoi d’être une femme dans un groupe de rock » qui fut suivie pas « ça fait quoi d’être mère dans un groupe de rock »…
Elle remarque :

« quoiqu’il en soit, j’ai toujours cru – et je le pense encore – que le radical était plus intéressant lorsqu’il avait l’air banal et inoffensif » ou encore « il y en avait d’autres, bien sûr – le Velvet Underground, les Doors –, qui prenaient des risques dans les années soixante, et personne n’avait aucune idée de ce que tout ça allait donner. Avant eux, il y avait eu la Beat Generation et, avant elle, les avant-gardistes, les futuristes, Fluxus et, encore avant, le blues, de la musique d’outsiders, où on semblait pleurer à l’avance un événement attendu qui n’arriverait jamais, et où on se disait : et si on allait danser et jouer pour oublier, l’espace d’un instant, qu’on est seul quoi qu’il arrive? »
 

Ça n’a pas résolu mon problème. Mes proches furent intéressés lorsque je leur racontai cette histoire. Puis je mis un disque. et j’entendis « Samuel, tu veux pas mettre de la vraie musique? » Vous avez donc l’occasion d’accomplir un vrai acte politique : réécouter Sonic Youth, Bikini Kill, The Birthday Party, DNA, The Residents, The Gun Club… Pour le plaisir. Et pour faire chier les voisins.
Kim Gordon, Girl in a Band Faber et Faber, 2016.
En attendant de pouvoir retourner chez votre bien-aimé disquaire :
Bull in the Heather, avec Kathleen Hanna de Bikini Kill

Et pour les plus courageux, She is not alone en live en 2009

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