Des cœurs lents

Creuse, Creuse, mais Creuse un peu

À l’encontre de noms, toujours les mêmes qui reviennent sur les listes des futurs prix littéraires de la rentrée 2017, pourquoi ne pas me suivre hors des sentiers battus dans une collection Infidèles chez Agone à la rencontre du livre de Tassadit Imache, Des Cœurs lents.

L’ambition de la Collection (« vêtir les vaincus d’étoffes victorieuses et donner à l’imagination l’injustice à ronger : une littérature qui contourne soigneusement utilitarisme partisan, tours d’ivoire dorées, traditions littérales et dogmes sacrés « .) convient à merveille à Tassadit Imache.

Cette auteure a déjà plusieurs ouvrages derrière elle (le premier publié en 1989 chez Calman-lévy, d’autres chez Actes Sud) mais aussi des articles dont les intitulés la disent  : ainsi Écrire Tranquille en 2001, Citoyen de Fraîche date en 2003, Son visage dans mon nom en 2007 ou encore Protocoles de l’expulsion en 2008.

Le point de départ de son livre Des Cœurs lents est le récit d’un frère et d’une sœur qui se retrouvent sur un lieu d’enfance, près d’un lac (jamais décrit, jamais nommé, raison de plus pour penser à Lamartine et au lac du Bourget), autour d’un mort, leur frère suicidé, pour un dernier au revoir.

Bien sûr, le livre est une polyphonie de vies, chaque être étant finement ciselé et individualisé, inscrit dans un parcours propre. C’est un chant choral mais il ne se laisse pas réduire à la description de la vie de ces jeunes des quartiers que, alors que nous en sommes à la quatrième génération, l’on appelle toujours « des descendants d’immigrés ».

Des Cœurs lents porte en son centre et tout au long du corps du texte l’affirmation de l’unicité de l’individu-e, de sa vie et la revendication de la liberté. Les derniers mots du texte, injonction de la mère à la fille étant « Sois libre », il peut être lu comme une ode à la liberté.

On peut aussi entendre dans ce texte le poids de l’Histoire (Seconde guerre mondiale, Guerre d’Algérie, racisme ordinaire, actualité récente des affaires du foulard et du burkini) et le poids des histoires de vie, histoires d’amour, de morts, de recherche d’identité, d’échappatoires dans la folie, le suicide, l’amour, l’écriture, la vie…

Dans ce court livre (moins de 200 pages), nous suivons sur plusieurs générations l’histoire d’une famille, de celles qui ont «un secret dans un coffre breton au grenier ou dans une malle coloniale à la cave».

Ce livre dit également l’importance du nom, du prénom dans une recherche d’identité qui échapperait à l’assignation sociale pour être dans un permanent devenir, diamétralement opposé au vœu de la grand-mère: « une identité sans arabesques ni circonvolutions ».

L’ouvrage souligne l’importance « des réminiscences heureuses de l’enfance » pour se construire. Il nous questionne : suffit-il de tirer un trait sur ses origines et son histoire ? Suffit-il de quitter la cité et d’habiter un immeuble de pierre de taille entre les murs de la capitale ? Peut-on aspirer à devenir librement soi sans renier ses origines ?

Illusoire : la peur de la misère pèse autant sur l’individu que le fait d’avoir des racines diverses. L’amour, l’amitié réchauffent le récit. Par le rire, se transmettent des « pépites de survie ». La vraie famille est sûrement celle des ami-e-s, de la « Tribu des vieux enfants ». Un très beau portrait de mère est dessiné, phantasque, déjanté, femme amante, tellement mère aimante, absente et pourtant omniprésente, une mère qui n’oublie pas d’être une femme, une femme que rien n’empêche d’être une mère, une mère différente pour chacun de ses enfants.

L’écriture, le style sont d’une grande douceur, empreints de nostalgie… Comme une petite musique lancinante, des expressions, des titres de films me reviennent en mémoire: Le droit à une mort douce, La peau douce de François Truffaut, Une femme douce de Robert Bresson… Tassadit Imache est de cette famille, son écriture est ainsi douce, taisant beaucoup de douleur, de violence.

En même temps, l’auteur fait sienne l’injonction « Creuse, Creuse, mais Creuse un peu » dans une écriture porteuse de mots et de silences, du mystère des êtres, de celui du corps et de l’âme. C’est une écriture qui emplit de poésie ces vies de gens pauvres et simples, une écriture qui dit ce qu’on a rêvé d’être, ce qu’on n’est pas, ce qu’on est… Par moments, le fantastique y trouve même sa place (Voir la promeneuse du jardin des plantes). L’écriture entrelace, tricote des récits secondaires qui viennent interrompre et s’insérer dans le récit principal, ouvrant à une multiplication d’indications personnelles ou spatiotemporelles. De nombreuses références à l’Art (que ce soit, par exemple, l’allusion au Sermon aux Oiseaux de St François d’Assise ou au Cantique des oiseaux du poète soufi Al Din Attar, aux Palmiers sauvages de Faulkner, au film Les Cœurs Verts d’Édouard Luntz, à Tchekov et à son reportage sur la vie des proscrits de l’île pénitentiaire de Sakhaline ou au tableau de Sisley, la Seine à Argenteuil) sont autant de petits cailloux qui donnent couleur, profondeur, mystère au quotidien décrit tandis qu’on s’interroge, sans doute inutilement, sur les liens fiction-réel…

L’auteure brode des récits de vie à l’instar d’un de ses personnages et on pourrait lui retourner comme un miroir à propos de son livre la phrase qu’elle écrit à son sujet:

« Ce n’est pas là le travail d’une pleureuse, ni l’ouvrage d’une simple couturière »

Nous sommes là en présence d’une femme écrivain. Des Cœurs lents, de Tassadit Imache, un livre, une auteure à découvrir sans attendre.

Irène Corradin, lectrice et présentatrice du livre à la Librairie Ombres Blanches le 14 septembre 2017.

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