« La ruée vers l’art » au cinéma, ou des autoroutes, des péages, des limousines.

Dans Ma philosophie de A à B (1975), Andy Warhol jetait les bases de fondations qui se révèlent effectives quelques décennies plus tard : 

« L’art des affaires est l’étape qui succède à l’Art. J’ai commencé comme artiste commercial et je veux finir comme artiste d’affaires. Je voulais être un business man de l’art ou artiste des affaires. Faire de bonnes affaires, c’est l’art le plus fascinant. »

Doha, Shanghaï, Hong Kong, Singapour, Miami, Bâle, Venise, Paris, voilà les étapes de leur tour du monde, ils sont tous là, toujours, la grande figure du Même, les méga-collectionneurs-mécènes, les Médicis, Este, les Sforza de notre époque.
Durant 1h 26, le film de Marianne Lamour  entraîne les spectateurs dans cette folle randonnée qu’empruntent désormais les routes intercontinentales des foires d’Art contemporain.
Disons tout de go que les deux saltimbanques du journalisme hâtif, Catherine Lamour et Danièle Granet dont nous suivons la course dans ce film-documentaire avaient commis en 2010 un livre vite écrit, Grands et petits secrets du monde de l’art. Nous aurions pu croire que le « brouillon » qui semble adapté au cinéma aurait été soigneusement amendé puis enrichi. Las, le film passe à côté de son sujet pourtant passionnant. Il y a bien quelques portraits rapides, quelques chiffres, quelques bulles, mais sa minceur ne satisfera que les gens pressés peu au fait des pratiques du milieu de l’Art d’Aujourd’hui.
Par moments même, il semble que l’unique effort de nos deux marathoniennes, emportées par le tourbillon, est de rejoindre et de faire définitivement partie de ce luxueux caravansérail, de cette lointaine station orbitale dont la population étrange aux mœurs étranges (Larry Gagosian exprimant un «noli me tangere» stupéfiant) se joue de l’art et de l’argent ? 
Dans ce documentaire c’est le matériau documentaire qui fait défaut.
Et pourtant…
L’art  « financiarisé » d’aujourd’hui est le thermomètre qui mesure le degré de notoriété au-delà duquel on est admis dans le club très exclusif de ces collectionneurs-stars et  maîtres du jeu. Au trio, artistes, publics, spécialistes, identifié par Nathalie Heinich dans son livre Le triple jeu de l’art contemporain publié en 1998, s’ajoutent maintenant d’autres membres d’importance, le collectionneur et son « conseil » dans un agencement où toutes les figures sont possibles (suivre par exemple la carrière exemplaire de Martin Béthenod administrateur délégué et directeur du Palazzo Grassi).
L’art n’ est pas ici, seulement le marché de l’art et à rebours, c’est une éclatante leçon qui est donnée.
Les artistes ? Ils seraient presque les oubliés du film tant ils passent vite. Pourtant lorsque Zhang Huan ou Urs Fischer évoquent leur métier, l’échelle change mais nous sommes très proches des ateliers Renaissants.
Un nouveau film moins paresseux reste à faire.
 
Bibliographie :
√ Revue Au fait n°4, dossier L’Or de l’ART, octobre 2013.
√ Revue Books n°46, dossier Le Grand bluff de l’Art Comtemporain (indisponible), septembre 2013.
√ Catherine Lamour & Danièle Granet, Grands et petits secrets du monde de l’art, Pluriel, 2011.
√ Nathalie Heinich, Le triple jeu de l’Art Comtemporain, Minuit, 1998.
√ Andy Warhol, Ma philosophie de A à B, Flammarion, 2007.
 

 

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