Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski

« Et puis après ? Est-ce que tu t’imagines qu’on peut gouverner innocemment ? »

C’est une citation de Sartre dans Les mains sales (et avant lui de Saint-Just qui affirmait que « nul ne peut régner innocemment » dans son discours à propos de Louis XVI) que l’on découvre ou redécouvre en lisant ce premier roman de Jean-Philippe Jaworski, qui résume au mieux l’essence de Gagner la guerre. Notre héros et narrateur, Don Benvenuto Gesufal (certains connaissent peut-être Gesufal le Cruel, le roi « gai comme les démons » de Victor Hugo dans Le Jour des rois) spadassin émérite et fieffée crapule, croisé une première fois dans le recueil de nouvelles Janua Vera, nous fait découvrir, au travers des neuf cents pages de la version poche chez Folio SF, le Vieux Royaume et plus particulièrement la cité de Ciudalia. Entre Rome antique et renaissance italienne, nous plongeons sournoisement dans un univers de fines lames, de ruelles sombres et de conspirations en tout genre. Un peu de magie, juste ce qu’il faut, une pincée d’elfes et de nains pour l’exotisme et une palanquée de seconds rôles plus affutés et savoureux les uns que les autres, tous coutumiers au jeu de la guerre et des intrigues.

Benvenuto est un assassin sans foi ni loi au service de Leonide Ducatore, podestat de la République de Ciudalia et récent pourfendeur de l’armée du Chah de Ressine. C’est sur une galère qui rentre au port après les derniers affrontements que le roman s’ouvre. Et d’entrée de jeu notre ami, loin d’avoir le pied marin, nous fait part avec verve et vigueur de ses déboires et de ses hauts-le-coeur dans un langage fleuri emprunté pour la plupart à différents jargons des siècles passés. Le ton employé par notre sicaire est un des points forts du roman, le langue aussi acérée que ses lames, argotique mais pas dépourvu d’envolées lyriques lorsque le paysage s’y prête, très travaillé et révélateur de l’intelligence fine du personnage. Il ne se fait pas d’illusion, il n’est qu’un pion au milieu des manigances et des traitrises des plus Grands mais il a les ressources nécessaires et une rage terrible pour tirer son épingle du jeu, et surtout sauver sa peau.

L’ouvrage est d’une densité rare, passionnant et prenant, classé en fantasy, que l’on pourrait qualifier de politique mais lorgnant également sur l’historique et les romans de capes et d’épées. Jean-Philippe Jaworski fait partie de ces auteurs français, avec notamment Alain Damasio et Stéphane Beauverger, qui ont fait le bonheur ces dernières années d’une littérature de l’imaginaire de qualité à la croisée des genres, originale et captivante, et à l’écriture remarquablement travaillée. Avis aux amateurs de beaux livres, les Moutons électriques, premier éditeur du texte et découvreurs de talents, viennent de ressortir Gagner la guerre dans une édition de luxe au tirage limité à 2000 exemplaires. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, le nouvel ouvrage de Jean-Philippe Jaworski vient de paraître, Même pas mort, qui débute une trilogie dans un univers différent. Mais que les amoureux du Vieux Royaume ne s’en fassent pas, l’auteur a déjà prévu d’y retourner dés que possible (à lire dans l’interview réalisée par ActuSF).

Et si vous voulez aller un peu plus loin dans la découverte de l’auteur et entendre sa voix vous pouvez profiter de l’enregistrement de l’émission Mauvais Genres sur France Culture dont il était l’invité samedi 12 octobre, en compagnie de Justine Niogret.

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