CRUS OU CUITS ? Cuisine et usages du feu
Marcel Mauss a mis en exergue l’importance de la cuisine et de la préparation des repas comme lien social dans toute société ; cette affirmation vaut aussi pour les premières d’entre-elles, dès la préhistoire. En effet, Claude Lévi-Strauss affirme que « l’Homme culturel » (et par extension, « moderne ») naît avec la cuisson des aliments ; la consommation de produits crus le ramenant à un état «naturel» avilissant.
Mythologiques tome 1. Le cru et le cuit, de Claude Lévi-Strauss, éditions Plon
Plus complexe est la réalité : si à cette époque certains morceaux font l’objet d’une préparation poussée (grillade ou cuisson répétée de « viandes noires, fortement imprégnées par le sang »), d’autres sont consommées crus, souvent pour leur valeur symbolique (comme le foie autrefois uniquement réservé aux hommes). De nos jours, la cuisson de la viande n’est pas forcément universelle ; ainsi, l’essentiel de la viande consommée par les Inuits au Canada n’est pas cuite : elle est mangée fraîche, gelée, séchée ou faisandée.
La graisse est, elle aussi, un élément nutritif à ne pas abandonner sur une carcasse : elle est prélevée des morceaux coupés ou extraite des os par cuisson dans un bouillon : la maîtrise du feu est donc un préalable indispensable à ces opérations.
Selon Marylène Patou-Mathis, cette modification des habitudes alimentaires n’influe pas seulement sur l’anatomie humaine individuelle (réduction de la taille des dents, par exemple) mais aussi sur le groupe social dans son ensemble, par de nouveaux comportements plus égalitaires et l’apparition de pratiques nouvelles, comme le fumage ou le séchage qui permettent une conservation plus longue de la viande. Cette dernière permet la création d’un stock de ressources utiles à la vie quotidienne et accompagnent les explorations maritimes ou pédestres.
Mangeurs de viande. De la Préhistoire à nos jours, de Marylène Patou-Mathis, éditions Tempus/Perrin
Pour la question de la composition des repas se pose le problème des sources : les végétaux ne se fossilisant pas, nous ne disposons que de foyers et de traces de combustion. Nous pouvons retracer l’évolution des modes de cuisson par ce biais : les plus anciennes traces de calcination d’os d’animaux sont âgées de 500 000 ans. L’état actuel des découvertes permet d’estimer que les premiers fours seraient vieux de 120 000 ans (site de Cracovie-Zwierzyniec). L’utilisation du feu en cuisine est donc intimement liée à l’histoire humaine et à son développement sur la surface de la Terre.
Pour aller plus loin :
La cuisine paléolithique, de Joseph Delteil aux éditions de Paris Max Chaleil
La cuisine paléolithique de Joseph Delteil est un hymne à la cuisine d’instinct. Recettes de nos grand-mères, secrets préservés, savoirs ancestraux… un précis d’alimentation naturelle qui incite à consommer peu mais bon.
Feu. Ami ou ennemi ?, de Nadine Ribet, Vincent Bontems, Danièle Escudié et Eric Rigolot, aux éditions Dunod / Cité des Sciences et de l’industrie
En trente et un mots-clés, ce livre vous révèle le feu dans toutes ses dimensions : historiques, scientifiques, philosophiques, culturelles.
Mythes sur l’origine du feu, de James George Frazer aux éditions Rivages
Les mythes sur l’origine du feu expliquent les diverses façons dont les hommes apprirent, dans les temps primitifs et à travers le monde, l’usage de cet élément et le moyen de l’obtenir.
Le feu, dix façons de l’interpréter, de Katsumi Ishida aux éditions Epure
Katsumi Ishida propose dans ce livret de 24 pages, dix façons originales d’introduire le feu dans des préparations culinaires élégantes et raffinées.
L’art de la braise en plein air, de Raymond Buren aux éditions Epure
Dans son ouvrage, Raymond Buren réunit histoire des braises et manières insolites de cuire au feu une diversité de victuailles.
Pot-au-feu sans frontières, de Michel Maffre, aux éditions Actes Sud
Du Pho au Vietnam, au Bortsch en Ukraine, en passant par le Bollito Misto en Italie, cet ouvrage dresse l’inventaire méconnu et foisonnant des différentes formes du réconfortant et populaire pot-au-feu.
La domestication du feu aux temps paléolithiques, de Henry de Lumley, aux éditions Odile Jacob
L’ouvrage d’Henry de Lumley prend appui sur des travaux universitaires pour retracer l’histoire fascinante de la maîtrise du feu, de sa découverte par les premiers hommes à sa domestication aujourd’hui.