Lettre à Armand Gatti, au nom de la conscience.
Par Claude Faber
Tu es parti alors que certains s’entre-déchirent pour prendre le pouvoir. Dante Sauveur Gatti, dit Armand, tu n’avais que faire des batailles électorales. Comme tu aimais à le répéter, « ce n’est pas la prise de pouvoir qui importe, c’est la prise de conscience. »
La prise de conscience de soi par les mots, par le langage. La prise de conscience de soi et des autres comme autant de particules virevoltant dans l’infini. La prise de conscience du monde par une vraie connaissance et reconnaissance des flux de son histoire. Par le rejet de tout ce qui avilit, de tout ce qui abaisse, de tout ce qui enferme l’homme dans les certitudes et les vérités étouffantes.
Lors de notre toute première série d’entretiens en 1995 – tout en marchant, sur les îles du Frioul au large de Marseille – tu n’as fait que parler et encore parler de l’homme, de sa place dans l’univers, de cette nécessaire question – préalable à toute création – du « que suis-je ? ». Tu me parlas de la forêt de la Berbeyrolle, de Cuba, de Makhno, de physique quantique. Tu me parlas de cette petite fille juive qui cousit une étoile jaune sur sa poupée pour ne jamais en être séparée. Tu me parlas de combats, de résistance, de Vilar, de Mallarmé, de poésies, d’arbres et d’étoiles. « Nous qui sommes nés de l’agonie d’une étoile ». Je sus vite, très vite, que je devais nommer le livre « La poésie de l’étoile ».
Tu es parti et même s’il nous reste tes pièces, tes livres, tes mots, tes films, tes lumières, tes hommages, tes fulgurances, tes inventions, tes poèmes, tes magnifiques poèmes … tu vas manquer. Indéniablement. Et pas seulement à Hélène, à Jean-Jacques, à Stéphane, aux tiens et à tes proches. En partant, tu laisses une chaise vide, comme celle que tu réservais toujours au premier rang du public, avec l’espoir de voir revenir du passé une proche disparue à Auschwitz. Qui d’autre que toi posait autant la question du sens de l’humanité ? Qui d’autre que toi confrontait avec autant de justesse le combat des uns, la science des autres, la poésie de tous ? Qui d’autre que toi démontrait à tous – à commencer par les oubliés, les rejetés et les blessés de la vie – que « tout devient possible » ?
Encore récemment, juste avant de retrouver tes amis et le public de La Maison de l’arbre pour une lecture à l’occasion de ton anniversaire, tu me racontas ta douleur à l’annonce de la mort de ton ami Henri Michaux. Tu te trouvais alors dans le piémont italien. Tu décidas de partir dans la forêt, avec tes chiens, puis tu fis demi-tour. « J’étais entouré d’arbres, m’as-tu dit. Je voyais Henri partout … alors, j’ai murmuré, Henri, excuse-moi mais tu es trop nombreux ce soir. » … Nous sommes restés silencieux. Avec toi, c’était aussi le silence et les échanges de regard. Le lendemain, quand je t’ai quitté, à vrai dire plus ému que toutes les autres fois, j’ai photographié cette phrase écrite sur le mur de sa maison, « Apprendre à être un arbre connecté aux étoiles ». C’est bien noté … je te le promets. Vive la poésie et l’anarchie, mon si cher Dante. Avec toute ma fidélité.