Les rencontres d’Arles Episode 1

LES RENCONTRES PHOTOGRAPHIQUES D’ARLES ÉPISODE 1

Photographie et méditation

La proposition de l’édition 2012, alors dédiée à l’école française et à l’ENSP n’était pas convaincante et le bilan avait d’ailleurs été très contesté. Elle venait révéler, au-delà des dissensions internes et institutionnelles (à suivre notamment le grand projet de la mécène Maja Hoffmann), des clivages dans la vision de la programmation. Le journal de la photographie n’avait pas hésité à titrer « Arles 2012 un festival raté, et d’ajouter Le festival va mal, il s’use. Il est à un tournant. Il doit renaître« . Alors cette année 2013 ? Ronron ou renouveau ? Face à l’essor du tout numérique et de la couleur, la 44ème édition des Rencontres se consacre à la thématique du noir et blanc pour mieux explorer notre regard sur la photographie. Un joli contre-pied à toutes les critiques portées l’année précédente et une occasion d’affirmer cette fois radicalement une vision : tout à la fois nostalgique et très contemporaine. On y apprécie tout particulièrement d’y retrouver les grandes figures de la photographie dont le travail a été peu montré en France et de continuer d’y découvrir des talents prometteurs. Les scénographies sont appliquées et astucieuses, et les éditions qui accompagnent ces expositions présentent souvent un travail abouti et soigné. Retour sur quelques coups de cœur qui ont marqué notre parcours. 

La Révolution selon Hiroshi Sugimoto

Le maître japonais du noir et blanc âgé de 65 est l’une des carte maîtresse du Festival. « Révolution » présente une dizaine de tirages de sa série de paysages marins nocturne « Seascape » réalisés à partir des années 1980. Une salle tout en longueur plongée dans le noir. Des horizons marins renversés à la verticale. La mer, le ciel, la lune. Majestueux, mystique, tout en rétro éclairage. Une observation du cours du temps, des éléments célestes. Dommage que certains aient craint le torticolis ou de perdre leurs lunettes rouges. C’est à penser qu’ils n’aient même pas pris le temps de lire les « cartouches » dont quelques phrases éclairent le travail et la philosophie du photographe.

« Longtemps, j’ai aimé grimper sur des falaises et observer l’horizon, là où la mer rencontre le ciel. Un jour, alors que je me trouvais seul au sommet d’une île isolée dans des mers lointaines, l’horizon englobait tout mon champ de vision et j’ai eu un court instant l’impression de flotter au-dessus d’un vide incommensurable. C’est à ce moment-là seulement, lorsque j’ai vu l’horizon m’encercler, que j’ai véritablement ressenti que la terre était un globe saturé d’eau.

Dans mes rêves d’enfant, je flottais souvent dans les airs. Parfois, je quittais mon corps pour l’observer pendant mon sommeil, depuis un point en hauteur près du plafond. Comme une projection astrale, peut-être, un moi éveillé coexistait simultanément avec un moi endormi. Même adulte, je m’imagine souvent lévitant dans les airs. Faut-il voir là la source de mon inspiration artistique ?

De toute évidence, les vues et les lois scientifiques auxquelles nous croyons aujourd’hui finiront par vaciller pour être remplacées quand leur heure sera venue. Dans plusieurs siècles, les gens nous considéreront comme des obscurantistes, exactement comme ceux qui vivaient à l’époque du géocentrisme, si l’humanité survit jusque là, cela va de soi. Il demeure néanmoins une fracture majeure entre notre compréhension du monde et notre capacité à expliquer ce que nous sommes en notre for intérieur. De plus, ce que nous pouvons expliquer du monde est bien plus limité que ce que ne nous ne parvenons pas à expliquer.

À la fin du printemps 1982, je me trouvais sur un promontoire en Terre-Neuve à admirer un superbe coucher de soleil qui coïncidait avec l’ascension de la pleine Lune dans le ciel oriental. Pour la première fois depuis des années, je me sentais dépassé par une expérience extrasensorielle. J’étais à des lieues de la surface de la terre, et j’observais la Lune suspendue au-dessus de la mer, tandis qu’un autre moi, un point minuscule, demeurait envoûté sur place. »

Les livres que nous vous recommandons autour d’Hiroshi Sugimoto:

Révolution, Hatje Cantz, 2013, 60€ (catalogue d’exposition)

Hiroshi Sugimoto, Hajte Cantz, 2010, 98€ (monographie en anglais)

Accelarated Buddha,Xavier Barral, 2013, 60 € (sa dernière parution en français autour du déclin et de la naissance du bouddhisme au Japon)

 

 
 
 
 
 
 

à suivre dans l’épisode 2 : cosmos et vagabondage…


par Charlotte Auricombe et Christophe Pagotto

Jean-Jacques Naudet, « Arles 2012, un festival raté » dans Le journal de la photographie