127 heures (Plus fort qu’un roc) – Aron Ralston

“L’adversité a pour effet de susciter des talents qui en des circonstances plus favorables, n’auraient pas éclos.” HORACE
“Plus fort qu’un roc”
Qu’est-ce qui m’a poussé à lire ce livre? Je ne sais pas. Cette couverture à l’effigie du film de Danny Boyle ne me disait rien qui vaille. Puis, un jour, laissant de côté mes préjugés, j’ai ouvert le livre. Le sujet piquait ma curiosité.
Un jeune alpiniste expérimenté se retrouve coincé dans un canyon, sa main bloquée par un rocher. Luttant contre la déshydratation et l’hypothermie, il ne lui reste plus qu’une seule solution afin de se libérer, l’amputation.
Ces dernières phrases donnent quelque peu des frissons dans le dos. On se dit : non merci le récit d’un homme qui se coupe le bras, ce n’est pas pour moi. Ce serait une erreur car le livre est bien plus qu’une histoire sordide.
Le 26 avril 2003, Aron Ralston part randonner dans les gorges de l’Utah.
Cette randonnée traverse quatre sites archéologiques du Horseshoe canyon ornés de centaines de peintures et gravures. Je bous d’impatience à l’idée de les contempler. Le Congrès des États-Unis a décidé d’adjoindre ce canyon isolé au Parc national afin de protéger les dessins et peintures vieux de cinq mille ans, témoignages silencieux d’une peuplade primitive.
Aron est un voyageur expérimenté, pourtant malgré tout ce que l’on peut croire, on ne se prépare vraiment que pour le prévisible.
Or, tout à coup, au fond d’un canyon, l’impensable survient : un rocher se détache au-dessus de lui et emprisonne son bras. A partir de cet instant, tout bascule et les éléments les plus insignifiants, vont prendre une importance capitale. Chacune de ses décisions va avoir un impact sur son sort. Question de vie ou de mort.
Prisonnier au fond de ce canyon, il sait que son corps va avoir besoin de nourriture mais surtout d’eau, il n’a pas la place de s’asseoir et donc de reposer ses jambes, coincé dans un endroit où peu de randonneurs passent. Il réfléchit à toutes les possibilités mais le plus important et le plus urgent est comment sortir de ce trou et libérer sa main de ce rocher.
Le récit prend de l’envergure. D’une simple sortie en randonnée le lecteur bascule dans un huis-clos passionnant où l’homme se retrouve face à lui-même. A l’égal d’un Mike Horn, Aron Ralston sait que chaque acte a ses conséquences.
Le temps géologique, c’est aussi maintenant.[…]Une façon élégante de dire :”Faites attention aux éboulis”. Comme la plupart des gens qui vivent sur des failles tectoniques le savent, le processus de formation de la croûte terrestre est constant.[…] J’ai eu beau voir des glissements de terrain au bord des rivières, des glaciers bouger et provoquer des avalanches monstrueuses, des rochers dévaler brusquement de leurs perchoirs, je ne m’attendais pas à subir directement et de plein fouet l’action du temps géologique.”
Rien ne sert de se morfondre, ce qui est fait est fait. Il doit agir mais comment? Coincé dans un sombre espace au milieu de nulle part, il n’a que peu de réserve d’eau et le rocher emprisonnant sa main est indélogeable malgré toutes les techniques qu’il utilise. La nuit la température baisse énormément et son corps affaibli par le manque de nourriture résiste d’autant moins qu’il n’est pas équipé pour ce genre de situation. Malgré cela, en sportif expérimenté, il arrive à prendre de la distance avec ce qui va être une lutte de tous les instants.
Parfois, sous forme de monologue intérieur, lui-même se parle pour ne pas devenir fou. “Tiens bon. C’est tout ce que tu peux faire.” Et plus tard lorsqu’il essaiera pour la première fois de se couper le bras “ Se poignarder avec une lame non désinfectée – c’était un coup de maître, mon petit Aron.” Pourtant il expérimente, forcément tout ne réussit pas, ou plutôt rien ne réussit mais il agit, de manière impulsive puis calculée, et il apprend de ses erreurs. Il se laisse rarement abattre d’où ce côté souvent ironique vis-à-vis de lui-même.
Tout n’est qu’un enchaînement d’espoirs et de déceptions. “Qu’ai-je ignoré par manque d’imagination? Je penche la tête en arrière, je suis presque à l’envers. Et j’aperçois plusieurs pierres logées au-dessus de moi, parmi les débris. Là, noire avec une pointe de rouge, je repère une pierre de la taille d’un œuf; elle n’a pas l’air d’être en grès, c’est un autre type de minéral. Elle n’est peut être pas plus dure que le grès, mais ce pourrait être ma chance. Je fouille dans le nid à rat, au-dessus de ma tête, et je retire la pierre. Un autre caillou tombe et manque de peu ma tête. Saloperies de pierres instables. Elles devraient être indiquées, vociférai-je.”
Les quelques mots grossiers qui parsèment le récit sont finalement rassurants et j’oserai dire bienvenus. Symboles de colère mais aussi de vie, c’est sa manière à lui de se battre et de ne pas abandonner. Malgré son ingéniosité et ses multiples tentatives, le moral baisse au fur et à mesure des heures qui s’écoulent.
Les mots résonnent dans ma tête – “Si je survis jusqu’à mercredi” – et finissent par rebondir vers une partie du cerveau où il reste encore une petite réserve de courage.”
Le temps n’attend personne. Le sablier s’écoule lentement, grain par grain. Chacun de plus en plus lourd. Le temps devient pesant. La solitude aussi. Après des dizaines d’heures, le point de non-retour n’est pas loin.
Si le paradis s’avère aussi agréable que ces transes, ma situation dans le canyon peut se comparer à l’enfer. On le décrit toujours comme une fournaise très peuplée où règne un démon à cornes qui décide des tortures à infliger aux âmes perdues. Non. L’enfer est d’un noir effrayant, d’un froid insupportable, un endroit solitaire, une prison arctique sans gardien, où n’est enfermé qu’un seul détenu, oublié à jamais même par le maître des enfers. On n’y trouve plus aucune énergie spirituelle, bonne ou mauvaise, pour projeter de l’amour ou de la haine. Il n’existe qu’une seule émotion en enfer : le désespoir absolu, enveloppé d’une solitude abjecte.”
Seul, au fond de ce canyon, c’est finalement le moment ou jamais de faire le point sur sa vie. Reverra-t-il ses amis, sa famille? Les dernières personnes qu’il a rencontrées sont ces deux jeunes femmes croisées en amont de la randonnée. Vont-elles donner l’alerte lorsqu’elles ne le verront pas à la fête à laquelle il devait assister? Tous ces questionnements sont entrecoupés de souvenirs liés à d’anciens voyages ou d’histoires vécues. Aron est un aventureux, une situation de ce genre serait arrivé à un moment ou à un autre. Mais finalement peu importe, ce qui compte ce n’est pas les évènements eux-mêmes mais la manière dont on réagit à ces évènements.
L’homme est une créature étrange. Ce qui l’empêche souvent d’agir c’est sa conscience. Mais en conditions extrêmes, quand tout a été essayé, que le corps et l’esprit sont fatigués de lutter, la conscience se met “en veille”. C’est à ce moment-là que les actes que l’on croyait impossible deviennent réalisables.
L’amputation est imminente et nécessaire. Il ne réfléchit plus. Il agit. Cet acte lui sauve la vie.
Souvent les récits nous amènent à nous questionner sur notre propre existence, cette histoire plus qu’aucune autre. Qu’aurions-nous fait à sa place ?

127 heures – Aron Ralston – Michel Lafon – 18€90