Julien Gracq, Nœuds de vie, éditions Corti 2021.
Sur le grand chemin…
Le dernier volume paru du vivant de Gracq fut les Carnets du grand chemin (si l’on met à part Les entretiens). Venant faire suite aux deux volumes de Lettrines (volume 1, 1967 et volume 2, 1974) et au recueil plus empreint de critique sur la littérature En lisant, en écrivant (1980), tous ces livres proviennent en réalité de la même source.
Après l’écriture du Rivage des Syrtes et entre celle du Balcon en forêt, nous savons maintenant qu’il y a eu l’épisode des Terres du couchant, roman, inévitable, sur la guerre que Julien Gracq n’a pu, après trois ans de travail, achever (le livre a paru posthume en 2014).
En fait Julien Gracq s’est définitivement éloigné des formes romanesques, sa route, son grand chemin, le porte naturellement vers les morceaux de prose, vers une manière pus fragmentaire. La matière littéraire de Gracq devient résolument vagabonde, volatile, sujette à l’exploration de la mémoire.
C’est dans des carnets où il compile ces notules, ces morceaux de prose, que l’œuvre va désormais s’écrire.
La parution de Nœuds de vie est une double bonne nouvelle.
Tout d’abord lire ce recueil c’est comme avoir des nouvelles d’un vieil ami à qui l’on n’aurait pas pensé depuis longtemps. C’est l’occasion de retrouver une voix, un ton, une musique aimée.
Pour les éditions Corti, c’est une façon de prolonger l’œuvre du grand écrivain presque exactement là où elle s’est arrêtée.
Enfin c’est l’annonce d’un monument à paraitre en 2026 avec l’édition des 29 cahiers de Notules que Gracq avait projeté de publier vingt ans après sa disparition.
Les quatre grands chapitres qui composent ce recueil sont intitulés : Chemins et rues, instants, lire, écrire. Cela correspond exactement aux quatre points cardinaux de l’œuvre de Gracq.
Voici comment il explique ce dont il veut rendre compte dans ces notules :
« Ce que j’ai souhaité souvent, ce que j’aimerais peut-être encore exprimer, ce sont ce que j’appelle des nœuds de vie. Quelques fils seulement, venus de l’indéterminé et qui y retournent, mais qui pour un moment s’entrecroisent et se serrent l’un l’autre, atteignent, entre les bouts libres qui flottent de chaque côté, à une constriction décisive. Une sorte d’enlacement intime et isolé, autour duquel flotte le sentiment de plénitude de l’être-ensemble. »
C’est extraordinairement touchant de lire ces mots, cette invitation à plonger au cœur de la création.
Car les fragments qui composent Nœuds de vie ne sont pas à considérer comme des brouillons, des extraits de carnet de travail ou bien encore des pages de journal intime.
Ils sont achevés et sont tous individuellement les pièces d’une mosaïque qui brossent le portrait de l’écrivain accompli qu’est Julien Gracq dans la dernière partie de sa vie.
Et d’insister comme il le fait sur l’aspect éphémère et fugace de ces moments de prose rehausse encore d’un cran l’attachement que l’on peut avoir pour l’écrivain et l’impression constante de lire une œuvre qui apporte à son lecteur cette « plénitude de l’être-ensemble qu’il recherche ».
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