La littérature pour la jeunesse en France est depuis un bon demi-siècle (et reste) un domaine inventif, créatif, joyeux, ouvert sur le monde qui nous entoure et le questionnant sans cesse. Du moins une grande partie des éditrices et éditeurs s’efforce-t-elle de proposer des livres de cette sorte, de nature à permettre aux enfants et à ceux qui les accompagnent de se nourrir de toute la création mise à leur disposition. L’illustration, le texte, la documentation, la poésie, le théâtre se présentent sous des formes sans cesse renouvelées et propres à susciter l’éveil. Parfois à susciter le débat ou la critique et c’est bien normal !
Mais pourquoi aujourd’hui, ai-je le sentiment désagréable et inquiet que les livres pour enfants sont à nouveau l’objet de regards suspicieux, moralisateurs, et de volonté indéniable de censure ?
En 35 ans de librairie jeunesse, des mauvais livres (ou ceux que j’ai considérés comme tels), j’en ai vu passer, hélas !
Parfois, au point de sortir le livre du rayon, voire, cas plus grave, de le renvoyer à l’éditeur, sans attendre. Quelquefois au point de faire savoir tout le mal que j’en pensais, et de refuser de le commander à nouveau, sauf insistance d’un-e client-e.
JAMAIS au point de demander son interdiction, car il me semble que la liberté de critiquer est corrélative à la liberté de publier. C’est un point de vue, c’est en tout cas le mien.
De nombreux articles ont été publiés récemment sur ce que j’appellerai « l’affaire On a chopé la puberté » publié chez Milan.
Dans la revue professionnelle Livre Hebdo, l’avocat Emmanuel Pierrat, spécialiste du droit de l’édition, fait un point sur la question, n’hésitant pas à parler de censure, de lobbying et hélas aussi d’autocensure. Je partage en totalité son point de vue et, comme il développe et argumente mieux que je ne saurais le faire, je vous invite à aller lire son texte :
http://www.livreshebdo.fr/article/proteger-la-jeunesse-et-en-finir-avec-les-livres
Il me semble que la critique doit être vive, qu’elle a même le droit et le devoir d’être combative, mais il me semble aussi que cette fois, nous avons été abasourdis par l’usage intempestif de réseaux sociaux qui déploient des points de vue pour d’autres, qui, trop paresseux pour aller vérifier par eux mêmes, abondent dans le sens du « plus disant », en poussant des cris d’orfraie sans aucune retenue. Quitte à mettre au pilori quiconque voudrait discuter un minimum leurs certitudes.
Sans employer de grands mots, je dois dire que je trouve cela inquiétant. La vigilance est de mise, pour toutes et tous, et surtout pour soi même et son propre libre-arbitre.
Nous avons à cultiver précisément l’esprit critique des lectrices et lecteurs, de manière à leur permettre de faire le tri qui leur convient, et à les autoriser à critiquer sans brûler, et à leur faire confiance !
Je rappelle ici également que la librairie Ombres Blanches est héritière des éditions de Minuit, de Maspero, de Losfeld et de tous les combats contre les censures ; un autre article de ce blog, écrit par notre ami Arnaud Rykner, en témoignerait s’il était nécessaire ?
Je suis d’accord avec vous, c’est très grave. Dommage que la directrice de la collection ait jeté l’éponge, cela encouragera sans doute le lobby à l’origine de la polémique, dont les membres doivent être bien fiers (ou plutôt fières, d’après ce que j’ai vu moi-même) d’elles.