Phil Spector ou le mur du Son – Mick Brown

« L’homme raisonnable s’adapte au monde.

L’homme déraisonnable adapte le monde à lui-même.

Tout progrès dépend de l’homme déraisonnable. » Georges Bernard Shaw

Alhambra, banlieue californienne. Un matin de février 2003, la police découvre le corps sans vie de l’actrice américaine Lana Clarckson  dans la résidence de Phil Spector. Ce dernier est accusé du meurtre et encourt une peine de dix-neuf années de prison.

Certains diront que le caractère torturé de Phil Spector ne pouvait amener qu’une fin tragique, d’autres n’y croiront pas, même après le procès. On croit souvent connaître une personne.  La vérité est que l’on ne se connait pas soi- même.

« Entre 1961 et 1966, le fameux « mur du son » de Spector avait fait de lui le plus grand producteur pop, avec plus de vingt tubes au Top 40 par des artistes tels que les Crystals, les Ronettes et les Righteous Brothers.  Pour l’écrivain Tom Wolfe, Spector avait été le premier magnat du monde adolescent, mélange lunatique et explosif de génie et de magouilleur, visionnaire précoce, aussi brillant que déjanté, qui allait à jamais changer la face de la pop music. »

Excellent guitariste, c’est en tant qu’auteur et chanteur du groupe les Teddy Bears que Phil Spector entre dans le monde de la musique à la fin des années 1950. Très vite il s’établit à New York et se consacre à l’écriture musicale et à la production. Il réussit à s’imposer grâce ou au détriment de son caractère bien trempé.

« J’ai toujours aimé ne pas faire comme les autres, rester en retrait. C’était toujours une plaisanterie à New York. Dans la rue, le grand jeu des mômes était une sorte de base-ball avec un bâton et une balle. La blague s’était de dire : »Joe tu lances la balle ; Jack tu l’attrapes ; Jim tu frappes ; et Phil tu produiras le match. » C’est comme ça que j’ai réussi dans la vie. J’étais plus malin que les autres gamins. »

Mais c’est surtout grâce à ses idées innovantes et son instinct musical qu’il obtint l’un de ses premiers succès avec le groupe des Ronettes et la chanson « Be my baby » en 1963.  Ce morceau lance un pavé dans la mare musicale de l’époque.  Alors que passent à la radio les Beach Boys, Bobby Vinton et Elvis Presley, le son de Phil Spector a quelque chose de différent. Les premières pierres du « mur du son » viennent d’être posées.

Le secret vient de cette technique révolutionnaire qu’il a lui-même mise au point et qui consiste à fondre en une seule toutes les pistes instrumentales d’un morceau en lui donnant une puissance encore jamais entendue.

« Il en contrôlait lui-même chaque étape, la découverte des artistes, la co-écriture des chansons, la production , la promotion, le contrôle de qualité. Dans la mesure où il était à l’origine de ce son unique, il est devenu fait exceptionnel  pour un producteur plus important que les artistes eux-mêmes – un minuscule tyran qui se pavanait dans des  vêtements de dandy et des talonnettes cubaines. »

Il suivra jusqu’au bout cette technique et influencera toute une lignée d’artistes allant de Brian Wilson des Beach Boys à Bruce Springsteen.

Pourtant Phil Spector disparaîtra peu à peu dans les années 1970, s’isolant dans son immense propriété, délaissant toute activité artistique et sombrera progressivement dans une folie paranoïaque et destructrice.

A travers cette biographie, travail absolument remarquable agrémenté d’interviews et d’anecdotes des principaux acteurs de l’époque (musiciens, producteurs, amis…), Mick Brown nous plonge dans l’industrie musicale américaine des années 1960-1970.  D’une manière fluide et très documentée, l’auteur tente de cerner ce personnage si énigmatique, fou, créatif, paranoïaque, instinctif et finalement fascinant, qui, se persuadant qu’il était un génie l’est probablement devenu.

« Je ne serai jamais heureux. Le bonheur n’est pas au programme. Car le bonheur est temporaire. Le chagrin est temporaire. L’extase est temporaire. L’orgasme est temporaire. Tout est temporaire. Alors qu’être raisonnable, c’est une vrai démarche. Être raisonnable avec soi-même. C’est extrêmement difficile d’être raisonnable. »

Phil Spector, le mur du sonMick Brown – Sonatine, 2010 – 23€