L’avril enchanté d’Elizabeth von Arnim : badinage entre amies à l’ombre des jardins en fleurs

A rebours du désenchantement actuel, Elizabeth von Arnim nous offre avec son Avril enchanté, publié en 1922, un roman solaire débordant d’une joie de vivre communicative, alors même que les années folles faisaient swinguer les flappers dans les bars enfumés des capitales européennes.

Mrs Wilkins, jeune femme réservée, aspire à une vie moins effacée, à une existence plus proche de sa sensibilité et non circonscrite par des représentations sociales qui l’étouffent. Elle décide donc de fuir le printemps pluvieux britannique et répond à une petite annonce du Times proposant un château à louer pour le mois d’avril sur la Riviera italienne. La dévote et philanthrope Mrs Arbuthnot la suit, abandonnant son mari qui préfère composer des histoires polissonnes plutôt que de la choyer. A la barbe et au nez de leurs maris, les deux comparses trouvent deux autres partenaires pour partager les frais du séjour. L’acariâtre Mrs Fisher, l’enquiquineuse vecchia qui vit dans le passé regretté d’une ère victorienne flamboyante, et la délicieuse et magnifique Lady Caroline Dester, célibataire oisive, surnommée « la breloque », qui désire fuir de trop nombreux et trop pressants soupirants.

Nous rencontrons donc ces quatre femmes, mues par un désir commun d’évasion matérialisé par la villa San Salvatore, eden méditerranéen où le soleil darde ses rayons généreux sur des jardins débordants de fleurs.

« Les couleurs semblaient avoir été jetées au hasard par tout le paysage comme par un peintre saisi d’enthousiasme – toutes sortes de couleurs étagées ou se déversant en cascades (les pervenches paraissaient vraiment ruisseler de chaque côté de l’escalier) –, et ces fleurs hautaines qui, en Angleterre, ne se rencontrent que dans des parterres bien protégés, à l’abri du vulgaire, comme les grands iris bleus et la lavande, se voyaient bousculées par des fleurettes aussi vives et communes que les pissenlits, les pâquerettes ou les oignons sauvages, ce qui leur donnait une allure plus jeune et plus gaie. »

Sous le charme envoûtant de cette villa pittoresque, la parole va se libérer, les tensions s’apaiser. L’auteure, par la grâce de son écriture, réussit le tour de force d’évoquer avec une grande légèreté les sujets pourtant graves comme la solitude et l’isolement. Il est fascinant de voir à quel point elle maintient ses personnages en équilibre, à l’écart de toute mièvrerie comme d’une trop grande noirceur. Et l’on s’adonne alors au plaisir d’une langue souple au charme désuet, à une écriture élégante qui suit les jeux d’amour et de hasard de quatre héroïnes, étrangères à la décadence mélancolique des portraits de femmes d’Henry James. Une fois ce savoureux récit achevé, il ne vous restera dès lors qu’à profiter du soleil, vous installer confortablement avec un verre de chianti frais à la main, et écouter les douces ballades de Ron Sexmith avec son album Retriever.


Avril enchanté – Elizabeth von Arnim – Éditions 10/18 – 7.40€

1 réflexion sur « L’avril enchanté d’Elizabeth von Arnim : badinage entre amies à l’ombre des jardins en fleurs »

  1. Je suis d’accord avec vous. Ce livre est magnifique. Ma critique est courte mais sincère; j’adore la sensibilité anglo-saxonne féminine avec Austen, Gaskell, Eliot, Woolf…

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