“Je m’arrêtai au poteau téléphonique dont le garde m’avait assuré qu’il serait mon seul lien avec le monde extérieur. Nous avions découvert la veille que le téléphone ne fonctionnait pas. Je le décrochai tout de même. J’écoutais son silence sourd, la voix du reste du monde.”
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A l’automne 1978, Pete Fromm s’apprête à passer sa troisième année à l’Université du Montana lorsqu’il apprend par hasard que le Fish and Game Department de l’Idaho (organisme de réglementation de la chasse et de la pêche) cherche quelqu’un pour s’occuper de 2 millions et demi d’œufs de saumon implantés dans un bras de rivière. Le travail semble simple : veiller sur les œufs afin de leur permettre de passer l’hiver sans geler pour qu’ils puissent entamer leur migration vers l’Océan une fois le printemps venu.
Séduit par les récits de trappeurs que lui fait découvrir son meilleur ami, il accepte le travail et part vivre seul durant huit mois (de la mi-octobre à la mi-juin) dans une tente au croisement de deux rivières, la Selway et Indian Creek, à la lisière de l’Idaho et du Montana.
En plein cœur des Montagnes Rocheuses, le rêve idyllique peut vite se transformer en cauchemar surtout pour un jeune homme de 19 ans n’ayant que peu d’expérience de la vie en pleine nature… encore moins en plein hiver.
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« Puis il me serra la main en disant «bonne chance», et promit qu’il essayerait de revenir une fois avant que la route ne soit fermée pour de bon.En lâchant l’embrayage, il conclut par un «tu te débrouilleras très bien». Je n’étais pas vraiment sûr de partager son avis et, après trois tentatives malheureuses pour remonter la pente sans caler, j’en étais totalement convaincu : il avait menti.»
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Ce n’est qu’en se confrontant aux choses que l’on en prend réellement conscience. Loin de tout et isolé, il va devoir affronter la rudesse du climat (neige,blizzard…) et s’adapter en étant tour à tour bûcheron, braconnier voire chasseur de lynx.
C’est d’une écriture drôle mais surtout sincère et jamais prétentieuse que Pete Fromm nous relate son quotidien. Et on ne peut que vivre l’aventure à ses côtés. On retient son souffle lors de la chasse au puma, on reste sans voix devant la beauté de l’éclipse, on s’inquiète lors de l’équipée de son père et de son frère essayant vainement de le rejoindre à ski, et on est enchanté devant l’arrivée du printemps, que l’on n’attendait plus.
Rares sont les récits de voyage qui nous laissent indifférents, chacun étant toujours un regard porté sur le monde qui nous entoure. Pourtant certains nous touchent davantage. On ne sait pas toujours pour quelles raisons : affinités avec la destination ou avec le voyageur. Les deux peut-être. Mais le livre fini, on sait qu’il fera partie de nous. Que la lecture un jour au hasard d’une carte d’un nom tel que Magruder ou Missoula, qui jusqu’à présent n’éveillait rien en nous, ce jour-là résonnera. Et au détour d’une conversation lorsqu’on vous parlera des Montagnes Rocheuses vous direz : “Ah! Oui je connais quelqu’un qui a passé plus de sept mois là-bas. Sacrée aventure !”. Parce que lire “Indian Creek” c’est partager avec Pete Fromm tout ce qu’il a vécu. Et on n’en revient pas indemne.
Indian Creek de Pete Fromm, Editions Gallmeister, 9 euros.