Neuves lectures antiques

Un livre ne vient jamais seul. Il en convoque aussi d’autres et nos lectures souvent se répondent et correspondent, se reliant entre elles en une cohérence étrange. Ainsi, deux livres à la démarche tout à fait différente voire opposée se rejoignent : La philosophie antique de Pierre Vesperini et Le Phédon, Philosopher en présence de la mort de Benny Lévy, issu d’un de ses cours sur le dialogue de Platon.
Dans son ouvrage, Pierre Vesperini étudie en historien la manière dont les anciens comprenaient la pratique ou plutôt les différentes pratiques de la philosophie. Par là, il dresse des portraits des philosophes grecs et latins assez éloignés de ceux auxquels nos manuels nous ont habitués. La philosophie antique apparaît ainsi sous un nouveau jour. Elle n’est plus le prodrome au déploiement de la raison occidentale, ni la phase préparatoire de notre modernité. Elle devient plus étrange, plus large, plus riche, plus diverse. À bien des égards, la philosophie antique dans ses différentes réalisations et sous divers aspects est une fête : célébration religieuse, performance, banquet des savoirs, jeu, délassement. Pierre Vesperini nous permet de porter un regard déshabitué sur un héritage que nous pensions acquis et familier, nous invitant ainsi à envisager autrement notre pratique des savoirs et peut-être aussi, plus généralement, nous-mêmes.

Raphaël, détail de la peinture L’école d’Athènes, avec Platon à gauche et Aristote à droite.



Tout autrement, dans un mouvement qui paraît en contradiction totale avec cette démarche historienne, Benny Lévy dans son cours sur le Phédon de Platon, ne s’attache pratiquement pas au contexte de la rédaction du dialogue. Plus, il le récuse presque. Il s’agit bien plutôt pour ses élèves et lui de suivre pas à pas, presque mot à mot, le texte de Platon. Le Phédon relate les derniers instants et les ultimes paroles de Socrate. C’est un dialogue étonnamment serein et très émouvant. Il y est question de la mort, de la vie, de l’âme et de sa destinée. Benny Lévy, très minutieusement, et à l’écoute constante de ses élèves, en propose une lecture existentielle. Socrate, ce qu’il nous dit ici, nous concerne éminemment. Toute sa vie, l’homme à la tête de silène, n’a eu de cesse de chercher le censé de l’existence et de ses différentes modalités, d’interroger, de tenter de désigner « ce qu’il y a de plus intensément, de plus purement existant dans les existences mêlées, belles ou justes ou amoureuses ». Ainsi la question de la mort, de l’âme, de ce qu’elle est, de ce qu’elle va devenir dans le passage de la mort est déterminante. Car, il faut relever le défi de l’insignifiance de la vie. Et Socrate le relève de la façon la plus vivante. C’est cette parole de la mort au moment de la mort, à l’extrême de l’extrême, parole consolatrice, logos boethos, que nous donne à entendre la saisissante lecture de Benny Lévy.
Alors, certes, il semble difficile de concilier deux approches si différentes . Mais lorsque Pierre Vesperini, évoque un Socrate « envoyé des dieux », insiste sur sa dimension érotique, déroutante, archaïque, peut-être n’est-il pas si éloigné de certaines vues développées par Bénny Lévy dans son cours. De même, Pierre Vesperini n’aurait peut-être pas contredit ces mots : « Les gens sont tellement éloignés de l’Antiquité qu’ils s’imaginent être à la source de leur modernité ». Aussi, cet effort d’une lecture littérale, cette application à la lettre des textes, commune à ces deux approches les fait peut-être se rencontrer davantage qu’il n’y paraît ? À cet égard, est-il si improbable de songer à Bénny Lévy, à la lecture de ces mots extraits de l’épilogue de l’ouvrage de Pierre Vesperini :

« Les exégètes juifs se voyaient reprocher par les Pères de l’Église de faire une lecture « littérale », incapables de saisir « l’esprit ». Superposant à cette opposition entre la chair et l’esprit, les Pères qualifiaient les Juifs, d’« amis de la lettre » (amici litterae) et de « peuple charnel » (populus carnalis). Eh bien, faire que les historiens des savoirs et de la culture se libèrent définitivement du sensus mysticus de l’histoire idéaliste pour rechercher le sensus carnalis, non pas en opposant la chair et l’esprit, mais en voyant que l’esprit a son lieu véritable dans la chair, tel sera le souhait sur lequel finit ce livre. »

 
Le Phédon de Benny Levy sur Ombres-blanches.fr.
La philosophie antique de Pierre Vesperini sur Ombres-blanches.fr.

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