La rentrée littéraire : Marion Guillot et Yves Ravey chez Minuit.

Dans son premier roman à paraître en septembre aux Éditions de Minuit, Marion Guillot montre qu’il est possible d’aborder des questions profondes en choisissant le parti pris d’une comédie inquiétante, déstabilisante. Son roman a pour titre Changer d’air.
Paul Dubois est marié à Aude, ils ont deux enfants, il est enseignant, elle écrit des livres. Le jour de la rentrée scolaire de septembre, il est témoin de la chute d’une femme dans le port. Cet événement le convainc de changer de vie, de partir, certes pas très loin, mais tout de même, de s’en aller. Raconté à la première personne, l’écriture de Marion Guillot permet des plongées profondes et intimes dans la conscience de Paul Dubois. Le roman s’ordonne autour des expériences vécues par Paul en différentes scènes qui s’enchaînent et qui reconstituent cette tentative de nouvelle vie. Très vite, on s’aperçoit que Paul Dubois connaît quelques difficultés avec la vie. Pour contourner les concepts de psychanalyse, que je ne maîtrise pas bien et qui seraient soit exagérés, soit faux, soit menaçant par leur qualificatif, je peux dire sans trop me tromper que Paul Dubois se construit un système de vie complexe, bâti sur de surprenantes habitudes et sur des décisions brusques voire déroutantes pour son entourage. Il est au mieux un peu original ou légèrement altéré. Paul Dubois a une conduite qui semble souvent dépourvue de sens. Ainsi la mort d’un poisson rouge fera ressurgir en lui des questions profondes et existentielles. Il faut dire que, étudiant à Paris, il déménage avec son épouse à Lorient, ville du littoral breton, et c’est peut-être tout naturellement qu’il est tenté d’aller plus avant vers la vie aquatique. En tous cas, il semble particulièrement sensible à l’écoulement, à l’eau, au devenir-poisson. Je trouve ce livre réussi. L’étrangeté du personnage, la crise paranoïaque qu’il traverse, l’antipathie qu’il m’inspire, ses illusions, font naître, par l’écriture, une sorte de rire qui ne serait pas un rire de satisfaction ou de plaisir, mais un rire inquiet, tendu vers le tragique. Dans la forme, il y a une continuité, une progression romanesque, qui donne au roman son rythme, son ensemble, et un travail sur la langue, habile et inventif, qui varie entre le refus du pathos et de vraies interrogations sur la santé mentale de Paul Dubois. J’insiste, c’est un premier roman.
Il me reste un peu de place sur ce billet pour vous dire quelques mots de l’autre roman des Éditions de Minuit à paraître en septembre.
C’est Yves Ravey qui revient avec un très bon roman qui aura pour titre Sans état d’âme. Dans le titre, tous les éléments sont en place, et comme toujours chez Yves Ravey, au double sens des termes. C’est encore une histoire qui se passe en province, dans l’Est de la France, où il y a des cimetières militaires américains de la Seconde Guerre, un bar de nuit qui s’appelle le Mayerling et sa patronne Betty (et le mari de Betty s’appelle Personnaz!). Il y a des histoires d’amour de jeunesse qui ont la dent dure, des plans de constructions d’immeubles, donc aussi des plans de destructions, et la grande Histoire qui s’invite. Il y a une disparition, des fantômes et un champ de maïs. Pour l’anecdote, j’ai cru apercevoir Tommy Lee Jones dans le livre. Comme une atmosphère proche des romans de James Lee Burke, et particulièrement celui mis en image par Tavernier (Dans la brume électrique avec les morts confédérés). Yves Ravey est aussi, comme Marie Guillot, un écrivain qui fait de l’écriture un jeu, qui se joue de ses personnages et qui compose ses romans avec une construction implacable, dans l’intrigue et dans la tension. Sans état d’âme est un livre qui je crois, est très réussi. J’essaierai de revenir pour vous informer des livres à sortir en septembre, en tout cas de ceux qui me semblent intéressants. Le temps de les lire, d’en parler un peu et d’en faire un paragraphe.
Bonne lecture.
[Notez que Yves Ravey viendra à la librairie le samedi 3 octobre 2015, pour parler de son roman Sans état d’âme, dans le cadre du festival Polars du sud.]
Changer d'air
 
Changer d’air – Marion Guillot – Minuit, 2015
 
 
Sans état d'âme
 
Sans état d’âme – Yves Ravey – Minuit, 2015

2 réflexions sur « La rentrée littéraire : Marion Guillot et Yves Ravey chez Minuit. »

  1. Ravey fait un beau clin d’œil à Jean Echenoz avec son personnage de Personnaz.
    In Les grandes blondes p47 :  » Et Personnetaz ? suggéra Salvador. On ne pourrait pas voir avec lui ? Il était vraiment bien, lui. »

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