Au bord de la mer violette – Alain Jaubert

Dans quelle mesure Alain Jaubert reste t-il fidèle aux biographies d’Arthur Rimbaud et de Théodor Jozef Konrad Korzienowski, plus connu sous le nom de Joseph Conrad, en les faisant se rencontrer à Marseille le jeudi 24 juin 1875 ? Les biographes savent que l’un et l’autre ont résidé dans la ville. C’est toute la liberté du roman, Au bord de la mer violette, édité chez Gallimard, de rendre possible cette rencontre. Un livre passionnant.

1875. Marseille se transforme. Un nouveau monde est en cours, la grande industrie prospère, la bourse flambe et la technique va s’emparer du monde. A ce moment, Rimbaud est loin des cercles littéraires et déjà il s’est tu. Konrad ( le C viendra plus tard), de nationalité polonaise et de citoyenneté russe, est en exil à Marseille. Il fréquente les milieux socialistes et la bonne société. Le 25 juin il s’embarquera pour sa première traversée vers la Martinique. La nuit précédente, l’un et l’autre se parlent de ce qu’il adviendra de leur vie. Dix-sept ans plus tard dans une salle de l’hôpital de la Conception à Marseille, le mardi 10 novembre 1891, Arthur Rimbaud, tuméfié, gangrené, meurt. Durant son agonie qui dure des mois, son âme reste traversée de visions colorées et exotiques. Dernière partie du roman, quarante-deux ans plus tard, Conrad ( citoyen britannique) profite d’un séjour en Corse pour faire escale à Marseille et  revenir sur les lieux.

Entre Alain Jaubert et ces deux grands personnages il y a une filiation littéraire dans l’écriture du déplacement et dans la question du sens des voyages. Une fois le livre lu, nous avons suivi les trajectoires, pleinement romanesque, de Rimbaud et de Conrad et nous nous sommes rapprochés des territoires géographiques de l’écrivain. Moi, je les ai suivi des yeux et de l’esprit.

Longue citation, à la page 290, sur le « poème des ports » attribué à Joseph Conrad.

« Amsterdam, glace, neige et encore gelée…Le Havre, heurte un quai, chute d’eau avec sa malle…Dakar, première foule de Noirs… Rouen, lecture de Flaubert, chez Flaubert donc, en hiver…Bordeaux, hangars aux fortes senteurs de cacao…Ajaccio, les îles sanguinaires et le phare de Daudet…La Grairia, l’immense continent menaçant qui se profile derrière la montagne…Londres, les docks délabrés des bords de la Tamise vers Whitechapel, marcher durant des heures entre les entrepôts et les Wharfs dans le quartier horrible et merveilleux de Dickens et de Jack l’éventreur…Singapour, hôpital calme, tiède brise marine, rêveries romanesques (…) Marseille enfin, la merveille, la jeunesse…La ville où s’est décidée toute la vie. »

    Au bord de la mer violette – Alain Jaubert – Gallimard, 2013 – 18€90.

1 réflexion sur « Au bord de la mer violette – Alain Jaubert »

  1. Dans son excellente introduction au recueil des « Nouvelles » de Conrad, Jacque Darras avait déjà fait en 2003 ce rapprochement et imaginé la rencontre, improbable.
    Et les deux auteurs me semblent assez dissemblables, dans leur écriture comme dans leur destin. Mais je vais lire le livre. Merci de l’avoir signalé.

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