Ecrits de guerre

Au moment où les images de la guerre civile syrienne deviennent de plus en plus prégnantes, certains livres, en abordant le destin d’individus confrontés à la guerre, nous éclairent sur une réalité plus sensible. Quelques exemples en quatre livres et un film.

Le livre de Jean Reinert, Les amants de Bagdad, édité aux éditions Verticales en 2006 est une histoire d’amour en temps de guerre . Il se construit dans une alternance de narration entre « lui », palestinien, vagabond et poète récitant des vers d’Abû Nûwas, d’al Maari, d’al-Qassim* et « Elle », une jeune femme de la ville, étudiante et lectrice de poésie. Ils se croisent sur une terrasse perchée sur les toits alors que Bagdad commence à trembler sous les bombes. Surplombant la zone des combats, ce lieu deviendra la scène fragile de leur présence au monde. Jean Reinert écrit un moment intime, l’histoire de deux innocents confrontés à la guerre qui choisissent, face aux bombes, de vivre leur liberté.

D’autres point de vue, d’autres mouvements d’écriture.

Le titre ironique du livre de Yussef Bazzi, Yasser Arafat m’a regardé dans les yeux et m’a souri, traduit de l’arabe par Mathias Énard, édité aux éditions Verticales en 2007, est le journal d’un ex-enfant soldat engagé dans la guerre civile du Liban de 1980 à 1986. Yussef Bazzi passera son adolescence dans différentes milices pour lesquelles il combattra. La guerre ne s’arrêtera pour lui qu’à l’âge de dix-neuf ans lorsqu’il décidera de quitter son pays pour l’Afrique. Dans ce temps vécu de la guerre, nous suivons le destin halluciné d’un gamin de quatorze ans qui part au combat pour un salaire d’un euro et un paquet de cigarette par jour, comme d’autres partent au stade.

Le récit de Bernard Wallet, Paysage avec Palmiers, édité chez Gallimard dans la collection L’Infini en 1992, témoigne aussi d’une expérience de la guerre civile libanaise mais cette fois-ci à travers les yeux, et le corps, d’un européen.

Deux récits sous tension, fragmentés et composés d’une suite de séquences, qui conduisent le lecteur à éprouver la part la plus sombre du réel de la guerre civile.

Dans une forme différente, Le quatrième mur de Sorj Chalandon, édité aux éditions Grasset ces dernières semaines, s’inscrit dans cette même zone de guerre où l’on sent les mêmes odeurs, entend les mêmes sons et où l’on retrouve la même topographie que dans les deux livres précédents livres. Grand reporteur puis écrivain, il choisit la forme du roman pour traiter ces matériaux hérités de sa présence sur les lieux du conflit. En deux mots, après une période de militantisme mao dans les années soixante dix à Paris et suite à la rencontre décisive avec Max, metteur en scène juif exilé de Grèce, Georges part au Liban pour tenter de suspendre la guerre le temps d’une représentation d’Antigone D’Anouilh. Il rentre dans la guerre, il y rencontre une violence extrême et s’y perd.

Sur un autre support, le film d’animation Valse avec Bachir d’Ari Folman pose la question des effets post-traumatiques de la guerre sur ceux qui la subisse. Le personnage du film, Boaz Rein, est hanté par le cauchemar d’une meute de chiens courant dans la rue, renversant tout et agressant les passants. Parlant avec un ami, la mémoire de Boaz Rein se dénoue et s’éclaire d’un souvenir de la guerre du Liban à laquelle il participa dans l’armée israélienne. Ainsi commence l’enquête sur son « oublieuse mémoire». Dans le flou de ses souvenirs, des rêves et des rencontres font immerger des détails, des situations, des images du champs de bataille, et au final, la vision terrible des camps de Sabra et Chatila. Glaçant. Valse avec Bachir est le cadre proposé par Ari Folman pour un travail de mémoire.

Ces livres et ce film présentent des vies exposées à des situations de guerre. Yussef Bazzi et Bernard Wallet se référent à une réalité vécue et la retranscrivent dans une écriture sans dimension psychologique, à plat. L’écriture est saisissante. Les fragments d’écriture dilatent le temps du récit dans un double mouvement de fixation de la séquence et de pleine action. Une sorte de catalepsie. Sorj Chalandon s’inscrit dans le mouvement plus ample d’un roman tout en conservant, en creux, les stigmates d’une expériences personnelles. Dans Valse avec Bachir, les images lisses et les figures absentes à elles-mêmes (et la bande son !) disent les ravages de la guerre et le travail sur la mémoire. C’est peut être cela l’essentiel. Ces écrits de guerre sont une résistance.

*Le catalogue de la collection Sindbad aux éditions Actes Sud où sont traduit un grand nombre de poétes arabes et persans.

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