Le numérique peut-il sauver la culture de l’écrit ?

C’est le titre qui a été donné par l’organisation de la manifestation Futurapolis (Le Point) à l’un de ses derniers ateliers, le jour même (samedi 13 avril) où la plus ancienne enseigne de la ville, la librairie Privat, a annoncé sa probable fermeture !
Futurapolis a choisi pour thème la ville de demain. A cet effet, la manifestation aura concentré ses très nombreux intervenants entre l’aéroport, la gare et le centre de congrès. Les congrès sont toujours l’occasion de retrouver l’atmosphère de Playtime, le film prophétique de Jacques Tati ; l’hygiénisme qui y est exhibé, à travers le regard sur une modernité technologique naissante, trouve souvent dans ces manifestations, entre le verre et l’acier, son écho le plus vif. L’image de la ville est enfin débarrassé de son désordre, de ses miasmes, des strates de sa mémoire. Armé de son badge de congressiste, on peut ainsi ne pas pénétrer dans la jungle urbaine, si dangereuse, si « matérielle ».
Mais il reste la culture, et le désordre qui est le sien, l’encombrement, les incertitudes, l’imprévisibilité. Et cette culture n’est pas que du loisir, elle est aussi, et encore, le vecteur d’une civilisation, d’une transmission des connaissances. Dans ce qui fonde la culture, le livre est non seulement la production économiquement la plus importante, mais encore le lien symbolique et l’objet le plus pertinent de la transmission, des savoirs, des lieux de la création. Le livre est encore de papier, et sa production, sa diffusion, sa diversité, sa créativité, sont le produit d’un éco-système encore vertueux, d’une chaîne professionnelle et commerciale, d’un modèle économique.
Depuis une vingtaine d’années, le numérique est devenu, pour ce monde équilibré et équilibrant de l’écrit, une menace qui se précise toujours plus, sous l’injonction des industriels de l’informatique et du numérique, et du monde de la communication qui est leur porte-voix. Ce monde nouveau, conquérant, doit légitimer son apport, quand bien même celui-ci violente, brutalise parfois les grands équilibres de la production culturelle, que celle-ci soit artisanale ou industrielle, qu’elle procède de la création artistique et littéraire ou inversement. Il n’est qu’à voir comment seront balayés avant longtemps trois cents ans d’acquis dans la protection des auteurs, et dans leur droit. Ce monde nouveau légitime ses apports en flattant d’abord le consommateur, puis en le rendant dépendant, mais aussi en agrégeant autour de lui les pouvoirs, civils, politiques, économiques, et leurs réseaux.
Ce futur de nos cités, de nos cultures, débattu par l’entremise des réseaux sociaux, ou dans les assemblées d’experts, continue pourtant de se frotter à une réalité encore indisciplinée, éprise du partage de la réalité des villes, et de la production des livres.
Mais dans de nombreux lieux de débats sur nos sociétés de demain, c’est le futur qui y est exposé, alors même qu’il nous échappe, pas le présent, alors même que nous en sommes encore les acteurs. Le présent de la culture de l’écrit, vivant, celui des libraires, des éditeurs, n’est pas convié à partager un regard sur son avenir. Sans doute parce qu’il n’en a pas.
Le livre de papier aura contribué à seulement 98% de l’activité de l’édition en 2012. Mais il est bien connu que son avenir est son exact négatif, sans doute aimerait-on lui réserver bientôt la portion congrue de 2%. Mais ce qu’ignorent les sociétés industrielles qui ont tout intérêt à cela, c’est quand se produira le big bang. En attendant, elles occupent le terrain. Des débats, de la communication, des réseaux. Les sociétés les plus hégémoniques, les monopoles, sont peu nombreux, mais leur activité est incessante. C’est au prix de ce qu’ils nous assènent que nos villes perdent leur âme. C’est au prix de la relation qu’ils entretiennent avec le monde de la presse et de la communication que la réalité de nos relations, lecteurs et livres, lecteurs et libraires ou bibliothécaires, devient floue, indistincte, incertaine, et disparaît des écrans, derrière les écrans.
Est-ce bien au nom de cette incertitude qu’aucun représentant du livre de Toulouse n’a été convié à cette table ronde sur le « sauvetage de l’écrit », ni bibliothécaire, ni éditeur, ni libraire ? ni professeur ? ou bien n’est-ce pas plutôt que la matérialité de notre univers urbain et livresque est suspecte, à l’heure de sa révocation, et du tout dématérialisé ?
Nous proposons donc comme thème d’une table ronde virtuelle à venir : La librairie sauvera t-elle le livre du numérique ?