Terrienne – Jean Claude Mourlevat

C’est toujours avec une impatience fébrile que ses lecteurs attendent LE nouveau roman de Jean-Claude MOURLEVAT. Ici se retrouvent les lignes de force de l’auteur, qui  nous transporte néanmoins dans un univers inquiétant, et nous laisse envahis de questions sur l’existence, mais pleins de ce bonheur de lecture avec lequel nous avions rendez-vous.
Gabrielle, la sœur d’Anne, a disparu la nuit de son mariage voici un an, et aucune recherche n’a pu la localiser. Une nuit, Anne reçoit un étrange message qui est un appel au secours. Par le biais d’un lieu-dit qui n’existe pas, et avec l’aide d’un écrivain un peu déboussolé, mais plein d’empathie, la jeune fille passe « de l’autre côté », dans un monde parallèle, glacé et glaçant, dans lequel les gens ne respirent pas, sont dénués de sentiments humains et sont sévèrement contrôlés. Les dignitaires de cet endroit font enlever des Terriennes pour en faire leurs compagnes et leurs esclaves : Gabrielle a été séduite dans ce but. Très vite, Anne bénéficie de l’aide de deux personnes qui sont des « hybrides » : Madame Stormiwell, femme de chambre nostalgique du souffle de la vie, et Bran, qui fait partie de la logistique de ces enlèvements, mais qui, par amour pour Anne, va se ranger de son côté et l’aider à retrouver sa sœur et à fuir l’enfer d’Estrellas.
Dans ce texte proche de la science-fiction, Mourlevat aborde une nouvelle fois les thèmes qui lui sont chers : l’amour, la trahison et la liberté. Pourtant, l’intensité du suspense et le rythme soutenu du récit nous emmènent vers des émotions nouvelles, que traversent des questionnements essentiels : qu’est-ce qu’être humain ? Dans quoi réside le sel de l’existence et de la liberté ? Car le monde d’Estrellas est peuplé d’êtres qui nous ressemblent, mais auxquels nous ne voudrions pas ressembler : leur vie est calibrée et leur conscience droguée pour que rien ne bouge… il y a  si peu de différences parfois, qu’Anne parvient à se glisser parmi eux, mais ce petit rien qui l’habite la rend dangereuse pour  elle-même et pour ceux qu’elle aime : il lui faut se cacher pour agir, fuir et rejoindre le monde des Terriens. Le passage entre les deux mondes s’avèrera difficile à retrouver pour revenir vers la vie : serait-il fermé, ou bien faudra-t-il puiser au fond de soi pour y accéder ?
On retrouve également ici deux ou trois certitudes que l’auteur nous invite à partager : celle du pouvoir inexorable de l’amour, bien sûr, mais aussi la force de la fratrie et de l’attachement lié à l’enfance : Anne ( ma sœur Anne), passée vers le côté obscur pour ramener Gabrielle, et qui l’arrache à la stupeur grâce  à de vieux souvenirs communs. Et puis les retrouvailles avec les parents, simples et fortes comme dans Le chagrin du roi mort , et dont Jean-Claude Mourlevat nous avait livré, dans un précédent entretien, la clé .
Cependant, le texte ouvre une autre piste d’interrogation : la place de l’écrivain ? Étienne Virgil, acteur involontaire au départ du récit, s’engage dans le combat d’Anne, et y perd la vie. Il est si hésitant sur le bilan de sa propre existence, si peu certain de la valeur de ses choix, et si naïf dans sa sincérité, qu’on ne peut que se demander quel rôle est le sien … Lui-même dira que parfois les histoires lui échappent !
Avec ses personnages profonds et attachants, Terrienne est un beau roman dans lequel le lecteur se laisse volontiers embarquer par un auteur dont l’art du récit est incomparable.
Terrienne – Jean-Claude Mourlevat – Gallimard jeunesse – 16€

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