Sur la plage de Chesil – Ian McEwan

« Ils étaient jeunes, instruits, tous les deux vierges avant leur nuit de noces, et ils vivaient en des temps où parler de ses problèmes sexuels était manifestement impossible […] ». Ce court roman, de moins de 160 pages, commence avec cette phrase qui, en dépit de son apparente banalité, suscite immédiatement la curiosité du lecteur. Nous plongeons alors dans l’Angleterre du début des années 60 pour rencontrer ces deux jeunes gens : Edward et Florence. Tous deux viennent de se marier et se retrouvent dans un hôtel au bord de la Manche pour célébrer leur lune de miel. Le couple se connaît depuis plus d’un an et ne semble pourtant pas totalement à son aise. Nous apprenons à les connaître grâce à des analepses au fil desquelles nous assistons à leur rencontre, à leurs premières sorties. L’auteur profite également de ces retours en arrière pour dépeindre leur cercle familial et nous faire partager leur vision de la vie à travers leurs pensées les plus profondes et les plus intimes.
Florence vient d’une famille aisée, aristocratique. Elle est bercée depuis son plus jeune âge par la musique classique et aspire, plus que tout, à devenir violoniste professionnelle. Elle voue une adoration sans commune mesure à Beethoven, Schubert et ne supporte pas le bruit de la batterie. Edward, quant à lui, a été élevé par une mère « mentalement dérangé » et un père submergé entre son métier d’instituteur et une famille à gérer. Étudiant en Histoire, il projette d’écrire un livre consacré à des personnages historiques tombés dans l’oubli. Il ne comprend pas la musique classique et préfère de loin le rock. Leur couple atypique était peut-être condamné dès leur rencontre, bien avant cette nuit de noce cauchemardesque. Se pose alors la question des unions entre différentes classes sociales. Est-il réellement envisageable de vivre ensemble en ayant eu une éducation aussi différente ? Pouvons-nous être en osmose avec une personne qui a des aspirations et des goûts aux antipodes des nôtres ? Ian McEwan semble y répondre mais de façon elliptique. Malgré une fin bien loin des « happy end » hollywoodiens, l’auteur n’émet pas de jugement. Il ne se pose pas en arbitre mais se contente d’être simple spectateur et rapporteur d’une histoire d’amour dont l’issue heureuse paraît impossible. Il peint une partie de la société anglaise du début des années 60, une société qui n’a pas encore connu la révolution sexuelle. Plus qu’une simple histoire de couple vierge et de nuit de noces, Ian McEwan brosse le portrait d’une société murée dans des tabous, qui ne s’en libèrera que des années après, trop tard pour de nombreux Edward et Florence.  Article de Marlène Davezac
Sur la plage de Chesil Ian McEwan – Folio – Gallimard, 2010 – 6,10 euro

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